Tout s’est passé très vite, à la vitesse de la lumière, si bien qu’en un éclair de lucidité je ne pouvais plus revenir en arrière, un peu comme dans ce tableau de Rembrandt, La Ronde de nuit, où le regard ne peut plus quitter celui de l’artiste peint en arrière-plan sitôt qu’il l’a distingué sur la toile comme une proposition pour contempler son œuvre sous un autre jour, plus éclairé. J’étais effrayée de me voir en train de provoquer une nouvelle fois, la fois de trop, la colère de LUX dont j’avais abusé comme d’un artefact, une béquille, et j’ai su à l’instant où j’ai vu la lumière s’éteindre dans ses yeux que je n’en avais plus besoin pour éclairer de ma propre vue l’environnement autour de moi, depuis les propos d’autrui jusqu’à mes actes et mouvements, tout m’est apparu très clair, cette idée fut aussi réconfortante que LUX me parut inquiétante.  Cette nouvelle clarté donnait à son tour sur tout ce qui m’entourait une lumière nouvelle et bien plus bienveillante qu’autrefois, j’ai compris alors que je sortais moi-même de ma zone d’ombre. Rien de ce qui est humain ne m’est étranger, avait-elle l’habitude de dire et je devinais à présent ce qui m’avait agacé dans la prétendue sagesse de son discours qui se voulait quasi scientifique. A force de se mettre à la place des autres par une empathie que je qualifiais alors d’hyperbolique, LUX en venait à prendre aux autres leur place, la lumière et l’oxygène de leur vie en s’immisçant dans leur esprit comme une sagesse indispensable qui rendrait dépendant à sa petite personne sans pouvoir accéder à l’autonomie. A-t-on jamais vu le soleil se prendre pour la Terre et démarrer un cycle de vie parce qu’il n’est pas possible sur sa propre surface de respirer. Sait-on pourquoi la lumière conduit certains à la Raison là où d’autres sombrent dans la folie ? Après cet épisode où j’ai tourné les talons à LUX je n’ai jamais pu faire autrement que ressentir un sentiment de culpabilité pour ce que j’avais fait en sachant qu’il fallait que je le fasse, et pourtant ce poids sur ma conscience ne disparaissait pas comme si les gens se retournaient sur moi dans la rue en sachant qui je suis alors que je ne suis pas cette personne. Je n’ai plus croisé LUX mais son emprise sur moi a perduré comme un point lumineux qui me suivait à la trace en traquant mes faits et gestes jusqu’à ce que je commette une faute. Maudite, je suis maudite. Une course contre la montre est lancée à mon égard et cela fait dix ans que je sens une ombre me suivre, mais pas la mienne, comme si j’étais redevable de ma lumière propre non pas à moi-même mais à celle qui a instigué alors cette renaissance en moi. Puis j’ai croisé sa trajectoire à nouveau, comme un flash. J’étais dans le train de 7h18 en direction de Lyon ce vendredi 7 janvier où la nuit l’emportait encore majoritairement sur le jour alors que nous avions tous conscience d’avoir basculé du bon côté de l’année vers le solstice d’été avec la promesse de profiter enfin d’une minute de plus de soleil par jour à partir du 21 décembre, seulement on a beau le savoir, y croire, le fait est que le jour ne se lève pas plus tôt. Le train est parti à l’heure prévue, on nous a annoncé qu’il était complet comme une menace, et le soleil s’est levé d’un seul coup à 8h42 en direct des paysages encore givrés de Bourgogne. Je savais que la lumière apparaîtrait à cette minute précise parce que depuis ma rencontre avec LUX je suis devenue dépendante à la lumière comme d’autres le sont à l’alcool ou aux produits narcotiques, moi je ne suis pas tranquille tant que le soleil n’est pas levé, je hais l’hiver. Plusieurs contrôleurs sont passés comme pour une ronde de nuit, je ne me sentais pas rassurée. Quelqu’un s’est assis après le départ du train à côté de moi alors que je m’accrochais à la vitre pour voir apparaître la lumière, j’ai senti une onde de panique m’envahir alors que le type n’était pas entré en contact avec moi, sa présence à mes côtés jetait une ombre de plus dans l’obscurité. J’ai su que c’était elle en lui, il n’avait pas dû avoir la chance lui de pouvoir fuir, elle l’avait eu. La lumière diffusait sa chaleur au travers de la vitre sur laquelle j’avais posé mes deux mains pour recevoir une communion, quelque chose comme une immunité éternelle ici et maintenant mais je ne sentais rien arriver, au contraire un froid sidéral s’est immiscé en moi comme la mort et je sais qu’aucune résistance n’y aurait rien fait, elle m’avait retrouvée et j’en étais terrorisée. L’instant d’après, le train entrait en gare de Lyon et je me suis mise à hurler parce que je l’ai vu se diriger directement sur moi et me percuter intentionnellement de plein fouet pour me tuer. Depuis ce jour, j’ai perdu la vue, je retrouve la raison dans un asile où elle n’a pas droit d’entrée.

9 réflexions sur “LUX #3

  1. Vous avez un vrai talent littéraire, et je suis heureuse de vous avoir trouvée dans le dédale de la toile et de pouvoir vous lire. Vos mises en perspective, la façon magistrale dont vous « personnifiez » les symboles… Bref, je n’en jette plus. Je suis conquise, point barre.

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    1. Waouh…. waouh ! WAOUH. Venant de vous, poète à la sensibilité si rare, si différente, autrice d’un roman chorale foisonnant, votre monde imaginaire me fascine et m’accompagne à votre insu, je traque chacune de vos publications comme un chercheur de perle et je me sens si petite à côté. Quel bonheur et quel honneur pour moi de vous avoir trouvée, plume magnifique parmi les plumes, je n’en reviens pas que vous me lisiez. Et je vous en remercie, éternellement.

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