Je m’étonnais chaque jour d’être toujours dans la vie de la grande magicienne, comme un petit miracle dont je m’émerveillais à tout instant, une chance dont je prenais conscience. Avant la grande magicienne, je dysfonctionnais dans mes relations, convoitant une inconnue et fantasmant sur l’éventualité d’une prochaine rencontre, la personne devenait le centre de mes pensées, une obsession permanente, la voir était un enjeu d’envie et de mort, bien plus finalement que la personne elle-même, que je ne prenais pas le temps d’apprendre à connaître. A ce stade de mon cycle, j’étais entrée en contact avec ladite prétendue une ou deux fois déjà, un échange s’en était suivi et assez rapidement j’avais capté l’attention et inspirait sinon du désir, n’exagérons rien à ce stade de l’aventure, tout le monde ne dysfonctionne pas non plus, du moins une certaine curiosité que je savais aiguiller et attiser, j’avais très envie de rencontrer mon interlocutrice et cela suffit amplement à motiver de folles envolées lyriques. Lorsque j’avais envoyé ce premier message à la grande magicienne pour lui souhaiter bon courage pour son passage de grade dans l’art martial qu’elle maîtrise comme une déesse, je me suspecte d’avoir voulu envoyer quelque chose de drôle, à défaut de me ridiculiser par une tirade d’un romantisme à l’eau de rose très peu du goût de l’intéressée, de fait je savais que je n’avais pas n’importe qui en face, et surtout je n’étais moi-même plus la même que lors de mes précédentes prises de contact, des années avant, au moins je savais repérer les sorcières. Le fait est que j’aurais pu ne rien envoyer du tout à la grande magicienne, je n’avais aucune intention la concernant, elle était bien trop spéciale, et surtout j’étais en relation, sensée l’être. L’envoi de ce message m’a fait prendre conscience que je n’étais peut-être pas heureuse dans ma relation au moment des faits car je n’aurais pas ressenti ce besoin soudain de penser à elle. Son contact m’avait été communiqué par la sorcière elle-même, avec qui j’étais en relation, parce qu’il n’était pas impossible que nous nous entendions autour d’un dîner chez elle. Mais la sorcière m’avait avertie aussi, attention la grande magicienne répond rarement à ses messages, ou alors plusieurs jours après et lorsque le sujet n’est plus d’actualité du tout. J’étais prévenue.

La grande magicienne a répondu à mon message le jour même, ce qui aurait pu me surprendre, mais sa réponse sous les yeux m’a mis dans un état de jubilation tel qu’il ne m’était plus possible de ne pas envisager une suite quelconque à ce bref échange. Pourtant, Dieu sait qu’elle m’intimidait et que je me sentais toute chose à son contact, à sa pensée. Avant, je me serais précipitée pour envoyer un autre message pour être certaine de garder le contact et nourrir le lien, sans savoir que j’étais en train de le pourrir surtout, sans doute la couleur vert n’a jamais été d’une grande facilité, j’y voyais l’espoir et pas l’immaturité du fruit qu’il est encore sinon défendu, du moins trop tôt pour apprécier à sa juste suave douceur.

Dans mes précédentes relations, j’en venais à craindre la suite de la relation à partir du moment où les échanges avec l’autre m’inspiraient toujours davantage l’idée que peut-être j’étais tombée sur cette personne là, que je ne connaissais toujours pas, et avec qui j’allais finir ma vie. Tout était une question de finitude à l’époque, il fallait en finir au plus vite, achever l’attente et la pression. Et dans l’appréhension bien sûr, je faisais tout pour gâcher, tellement l’attente et la pression, tous ces enjeux que je mettais dans l’aboutissement d’une rencontre précipitée, me dépassaient bien plus que je n’aurais voulu le reconnaître seulement. Je souffrais de ne pas pouvoir faire autrement et d’être aliénée par cette attente de l’autre, idéalisé exagérément, au point que l’image que je me faisais de la personne n’avait plus aucun lien réel avec celle qui était l’objet de toute mon attention, sans le mériter en rien, je ne voulais pas voir le déséquilibre de la relation, l’amorce d’une rupture dès le départ. Peut-être qu’en me mettant à courir le matin au sortir de l’hiver, un peu plus vite que d’ordinaire, comme pour provoquer le destin, je savais déjà que je n’allais pas achever mon parcours, parce que j’avais conscience de mon état de fatigue sans vouloir le reconnaître vraiment. Sans doute en avançant aveuglée par l’amour, ou par l’intensité provoquée dans mes propres sentiments, je n’ai pas vu la cassure évidente entre mon rêve immaculé d’une permanence dans la relation et la réalité, ma solitude dans l’idée que tout ce qui m’arrivait était évident comme le lever du soleil tous les matins et n’avait pas lieu de finir un jour, au grand jamais. Dans cette même idée, il n’est pas impossible que je n’ai pas vouloir voir les premières traces de pas dans la neige, comme si quelqu’un avait flouté la scène de rencontre, ces mots qui font tâches et que l’on entend pas mais qui reviennent ensuite, qu’on a retenu et qui révèlent toute la désillusion de la vie, une autre déception à mettre sur le compte de la croyance, plus forte que tout, que cette fois c’est pour de vrai et que rien ne pourra empêcher la volonté effrénée. On ne peut passer à côté de la vie aussi souvent sans parvenir à prendre un jour un réel élan. Et tant pis pour la loi de séries, le manque de recul, les conseils prodigués à droite et à gauche, parfois même dans les pires circonstances, un miracle est si vite arrivé. Comme dans ce film, un chef d’œuvre, passé à patienter jusqu’à l’arrivée de la septième vague pour s’évader de la prison insulaire, l’île est devenu le cachot, l’isolement total, impossible de s’en échapper. L’île signifiait jusqu’ici le refuge, la protection confinée et surtout loin du monde, des autres, un accès privilégié à celle qui m’accompagnerait, des flots entiers de vagues pour nous mener au septième ciel. Tout sauf un endroit d’où j’aurais eu envie, voire besoin de m’échapper. Rester dans cet élan, et même si je ne sais pas comment les choses se sont faites toutes seules, rester cette même personne que je suis devenue, aussi admirative et vibrante de désir pour elle qu’au premier jour.

Avant, je laissais tomber à la première occasion, aujourd’hui je lâche prise librement. Elle est repartie pour la Chine et je n’ai plus aucune nouvelle d’elle, elle peut avoir disparu, au fond je sais qu’elle n’est pas loin, même à des kilomètres d’ici, de l’autre côté de la Muraille. J’aurais pu vouloir m’en assurer en lui envoyant un message qui demandait si tout allait bien, j’ai failli le faire au bout de trois jours d’absence seulement, il était midi moins une minute et je me suis laissée le temps de cette dernière pour aviser, savoir si mon intention était si claire. Certes, l’idée de la savoir arrivée saine et sauve après une brève escale et un vol interminable motivait le besoin irrépressible d’envoyer n’importe quels mots mis côté à côté, pourvu qu’elle me réponde et que je me sente rassurée surtout de ne pas avoir été totalement oubliée, mais force était de constater que je lui faisais aveuglément confiance, ainsi qu’à la vie, pour être persuadée qu’aucun malheur de l’empêchait à présent de profiter de son exploration. L’hypothèse qu’un message de ma part lui ferait plaisir ne me venait plus à l’esprit, j’avançais. Son voyage était prévu pour durer trois semaines pendant lesquelles, pour le coup, je savais qu’elle n’aurait aucun moyen de communiquer, autant initier le sevrage tout de suite. La question de savoir si elle était partie aussi longtemps pour me fuir ne m’effleura même pas. Je me doutais bien qu’à son retour, elle resterait enfermée quasiment trois mois pour développer dans son laboratoire les milliers de clichés rapportés de son séjour. Midi à présent. J’étais sauvée, soulagée de n’avoir envoyé aucun message, libre d’avoir choisi de ne pas le faire et de respecter son désir d’évasion et d’étrangeté qui me la rendait finalement familière. Pour me consoler de son absence, je recourrais aux milliers d’images enregistrées des moments passés ensemble, après tout j’avais du temps pour développer à mon tour un portrait. A force d’avoir parlé de la grande magicienne autour de moi, les gens me demandent de ses nouvelles, je vais devoir leur en donner sans avoir à la consulter directement, en improvisant. J’ai profité de mes courses pour laisser le vent, la lumière et les rayons du soleil m’inspirer, non seulement ils m’encourageaient dans l’endurance mais aussi ils me parlaient d’elle alors que ma tête peinait à s’extraire de la douleur physique une fois passé le vingtième kilomètre, une brise sur le front et ce rayon du soleil qui baille avec lequel j’échangeais un clin d’œil, et je me vois en train de courir à perdre haleine en hurlant son nom de toute les forces présentes. C’est là, à ce moment-là où son absence nourrissait plus que jamais mon imagination, que je me suis mise à voler, d’un seul coup la douleur s’envoler avec la conscience d’être bipède, et je volais, littéralement, les bras grand ouvert et le souffle retenu comme pour un effet ralenti. J’entendais mon cœur battre fort, très fort, et à la fois plus lentement que prévu en plein effort, mon sang se fluidifiait et je sentais un rafraîchissement très agréable dans tout mon corps, depuis les cieux d’où je planais, de mes vœux je l’ai vue sur la grande muraille de Chine.

Trois mois s’étaient écoulés et j’avais profité de ma solitude créatrice pour rejoindre la grande magicienne dans l’aventure de ses escapades vertigineuses, à vol d’alto et en repassant un à un les souvenirs dans ma tête pour enrichir la source de mon imagination, les images évoluaient au fur et à mesure qu’elles créaient du sens entre elle, il se passait quelque chose.

Je doutais fort de parvenir à courir le marathon dans un temps qui m’aurait rendu fière, pourtant le simple fait d’avoir trouvé une forme de paix intérieure et d’avoir posé mon arme, à savoir ma sacro-sainte mitraillette à question, me permettait d’appréhender la course sereinement, ne serait-ce parce que je ne m’étais pas blessée, aucun tracas à l’atterrissage.

La deuxième fois que j’étais retournée chez elle, mes sentiments déclarés haut et fort, il était question de ne faire que dormir ensemble, c’est en tout cas ce qu’elle avait convenu. Depuis cette première nuit passée chez elle, ma vie n’a cessée d’être lumineuse et étoilée. Et je n’ai eu besoin de ne tuer personne pour cela, en moi que les mauvaises langues se sont tues. Le matin de la course, j’ai été réveillé par la caresse du soleil sur ma joue, sitôt que j’ai ouvert les yeux, saisie par l’évidence d’une présence à mes côtés, le rayon s’est éclipsé par la fenêtre. Le soleil, apparu comme dans mon rêve lorsque je pensais m’adresser à la grande magicienne, ne s’est pas dissipé sous l’effet d’un nuage, il est parti se cacher pour m’inviter à le retrouver. Mon cœur a fini par m’en persuader, qui battait la chamade et m’ordonnait de prendre des forces et chausser plus vite de quoi partir à sa recherche, vite le trouver au bout du parcours, la retrouver elle sur la ligne d’arrivée.

Cette année là, sur le parcours du marathon de Paris, un étrange événement s’est produit, qui a vu se dessiner, depuis le départ de la course dans la foule immense d’anonymes, un arc-en-ciel similaire à ceux que l’on peut voir dans le ciel lorsque le soleil réapparaît après une pluie imprévue et spectaculaire comme l’est une dispute de couple ou une déchirure, et qui s’est étiré de tout son long, dans des couleurs encore jamais vues aussi resplendissantes, jusqu’à la ligne d’arrivée pour pointer vers une seule et unique personne de telle sorte que les autres spectateurs présents, très étonnés, s’écartèrent pour que se produise l’événement des retrouvailles après trois éternités passées à attendre qu’enfin se produise le miracle.

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