J’oblique en direction de la porte de Saint Ouen comme si je revenais sur mes pas sauf que je reprends mon tracé en venant d’ailleurs, avec un élan différent, et ça change absolument tout. Car lorsqu’après avoir slalomé parmi les échoppes des commerçants sorties à même le trottoir sans plus laisser d’autre choix que d’être alpagué par la marchandise, retourner sur le boulevard Ney d’un coup d’un seul me le ferait apparaître comme une avenue majestueuse. Direction la porte de Clignancourt cette fois avec en ligne de mire la sculpture récemment inaugurée et intitulée « Cœur de Paris » et dont la facture me reste en travers de la gorge, comme s’il n’y avait pas moyen d’améliorer la circulation et le confort de ce carrefour avec un montant si indécent, le machin haut perché me sert de phare dans la tempête de klaxons. Lorsque je laisse les fumées assourdissantes et hurlements étouffants s’échapper derrière moi et que je poursuis en direction de la porte de la Chapelle, le sol se transforme sous mes pieds et devient sableux, le bitume se friture en caillasse et mes foulées se perdent en poussière ; devant moi, il m’arrive de voir un train Thalys arrêté en pleine voie sur le pont – ainsi les petites sorties croisent les grandes trajectoires -, et le souvenir de ce cavalier me revient, il avait traversé le pont au-dessus des embouteillages en nous narguant d’un geste nonchalant. J’y repense au moment de descendre sous le pont et prendre de l’élan pour remonter ensuite, parce que ma condition de coureuse me rend sinon plus heureuse, du moins aussi comblée que n’importe quel voyageur en situation de déplacement et sur le point de découvrir une nouvelle destination, parce que j’aurais faire le même trajet tous les jours, et loin s’en faut je m’aventure régulièrement sur des sentiers inédits, c’est tous les jours une expérience nouvelle. Porte de la Chapelle, j’oblique vers Max Dormoy, la butte de Montmartre se rappelle à moi, j’éprouve le dénivelé positif de ce faux plat en essayant d’accélérer jusqu’à la rue Ordener, la traversée du pont emmène mon esprit suivre les rails de voyages imaginaires tandis que je scrute les graffitis actuels sur le mur Marcadet, chaque jour différents et originaux eux aussi. Traversée de la Goutte d’Or, les gens ne sont pas pressés, ils restent sur place et discutent entre eux comme s’ils avaient tout leur temps, toute la vie, comme s’ils n’étaient pas parisiens et que ma trajectoire venait bouleverser leur quiétude tel un météore imprévu tombé ici-bas. Souvent je me dis que je repasserai plus tranquillement pour moi aussi m’installer en terrasse et profiter des parfums de plats que je jure n’avoir jamais gouté… un maffé poulet peut-être. Le boulevard Magenta me fait toujours l’effet d’une frontière avec mon quartier plus policé, agacé, moins animé et plus bruyant à la fois, je remonte la rue Marcadet d’un bout du dénivelé à l’autre, en fait je passe mon temps à caresser la butte Montmartre dans tous les sens du poil. Je descends définitivement rue Vauvenargues, je délie mes jambes au maximum et prends le dernier envol pour récupérer la rue Championnet et passer devant le stade. Ouvert cette fois.

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