J+10. Médaille d’or de ma catégorie au Marathon des Gay Games, je visais un temps. Même en rêve je ne m’autorisais pas à monter sur le podium, pourtant j’en avais vu durant la semaine entière, des podiums et des médailles, la cérémonie attirait du monde et l’on fêtait les héros d’un jour qui avaient tout donné pour atteindre l’excellence après des mois de sacrifice. Je visais un temps, je ne l’ai pas atteint, j’ai amélioré mon score d’un quart d’heure seulement. Au bout, je n’en pouvais plus, j’ai même été tentée de lâcher, victime d’une crampe à la voûte plantaire, la faute aux nouvelles semelles que je portais depuis deux semaines, me suis-je dis, sans savoir si la crampe m’aurait touchée si je ne m’étais pas arrêtée tout d’un coup, en plein bois de Boulogne, sans personne ni devant ni derrière moi, je me suis retrouvée toute seule. C’est comme si une main insidieuse venue de sous terre voulait me retenir dans l’obscurité du bois, tout au fond, m’empêcher de rejoindre les autres et l’arrivée, être visible et victorieuse. Plus je marchais, moins j’avais de chance de terminer cette course et ce calvaire au plus vite, la crampe remontait depuis la voûte plantaire jusqu’au mollet pour gagner la cuisse, pareil à un serpent qui se serait glissé le long de ma jambe pour me distraire de mon objectif final, j’ai repris la course en trottant tant bien que mal sur mes pieds pour chasser la douleur et avancer à nouveau sur les derniers kilomètres. J’avais franchi les trois premières boucles sans problème, en soi le temps que je m’étais fixé était à ma portée, tellement accessible, trop. J’avais atteint la moitié du parcours en 1h51mn et la troisième boucle en 2h55mn, j’y étais ! Le marathon sous les quatre heures fatidiques était jouable à ce moment là plus que jamais. Cette idée s’était à peine immiscée dans mon esprit que mon corps, plutôt que de succomber à l’excitation et accélérer pour donner le meilleur jusqu’à la fin, envers et contre la douleur, mon corps donc, ou plutôt moi, je ne sais trop pourquoi, je me suis soudain mise à marcher. Mon pied se tordait au moment où je voulais lui faire toucher terre, réticent à se poser à plat, et pas moyen de négocier un report de crampe, il fallait la laisser passer de bas en haut, bientôt ma tête entière était accaparée par ce fléau rampant que pourtant elle avait provoqué, prétexte tout trouvé pour s’arrêter en plein foulée et retrouver souffle et fainéantise, jusqu’à ce qu’un ultime élan de colère me rappelle à l’ordre et au petit trop pour retrouver un rythme. Enfin je levai la tête et au moment de me redresser pour achever cette course contre moi, la coach est apparue juste en face, elle venait à ma rencontre avec des gestes d’encouragement et un sourire, je ne sais pas qui de nous deux fut la plus surprise de me voir courir encore. Elle m’accompagna jusqu’au prochain et dernier ravitaillement, je réalisais non seulement qu’il ne me restait plus que deux kilomètres à courir, mais surtout que je n’allais pas les courir seule. La crampe serait-elle survenue si je ne m’étais pas arrêtée ? La coach serait-elle apparue si je ne m’étais pas remise à trottiner ? J’ai terminé ce troisième marathon triomphante et heureuse.