Le plus dur n’est pas de venir à bout des deux kilomètres de nage à jeun, ni même des sortir de chez moi sans avoir pris ni douche ni café, mais qu’il ne soit pas même 7h. Lorsque j’arrive devant la piscine des Amiraux, l’une des trois piscines de Clignancourt, les gens font déjà la queue dans le silence et en portant un masque jusqu’à la cabine. L’immeuble nous plonge dans les années 20 où il fut construit de manière à ce que chaque habitation sur les sept étages dispose d’un balcon, ce qui lui donne une structure très particulière et réduit forcément la surface d’habitation, la priorité était à l’hygiène. La piscine occupe la cour centrale de l’immeuble, elle est aujourd’hui publique et doit sa particularité à un système de vestiaires individuels dont la porte est claquée par son occupant pour la verrouiller au moment d’aller nager, un agent vient ensuite l’ouvrir. Son bassin fait 33m, il n’y a pas de petit bassin à proprement parler sinon que l’on entre dans l’eau à un mètre de profondeur, les gens ont tendance à s’arrêter sur le bord et il n’est pas possible de faire de culbute de ce côté du bassin, comme à Georges Hermant. Autant je me demande encore ce que je fais là à 7h03 lorsque je claque la porte de mon vestiaire n°18, celui que j’ai l’habitude de prendre comme s’il m’était bien sûr réservé, autant chaque partie de mon corps se détend soudainement lorsque je prends mon élan sur le mur pour me couler dans l’eau sans avoir une idée de la distance à parcourir. Comme pour la course à pied, je pars du principe que je peux m’arrêter dès que je n’en peux plus si ce n’est pas le jour, j’y vais tranquillement pour m’échauffer et personne ne vient me doubler ni me ralentir encore, les nageurs et nageuses arrivent doucement. J’imagine qu’au bout de 400m je commence à accélérer, les autres nageurs sans doute aussi, il se passe comme une agitation et personne ne s’arrête plus en fin de ligne pour ne pas perdre le rythme dans lequel chacun est installé, comme un manège sur sa lancé. Et alors que je m’étais promis de rester tranquillement à ma place sans gêner personne, ne serait-ce que pour des raisons de distance physique, il m’arrive d’avoir à doubler le nageur de devant pour retrouver une ouverture et avancer à nouveau, au début je détestais faire ça et je me faisais souvent doubler, à présent je retrouve l’ambiance d’un départ en triathlon lorsque l’idée avant même de nager est de se faire sa place dans l’eau. Je sors du bassin moins d’une heure après, d’un coup je trouve qu’il y a trop de nageurs, mon souffle est plus court et je commence à fatiguer, je regarde alors la distance parcourue en m’élançant dans un dernier aller-retour histoire d’arrondir le résultat. Doubler certains nageurs m’a permis quelques accélérations, un peu comme une reprise en course à pied lorsque la fatigue se fait sentir et qu’il faut repartir de plus belle, mais je préfère encore le moment où je découvre le bassin encore vierge de tout baigneur.