Carpe Diem, place Saint-Michel, là où j’ai donné mes premiers rendez-vous amoureux parce que lorsqu’on est jeune, parisien et amoureux, c’est place Saint-Michel que se cueille l’Amour. Place Saint-Michel, cueille le jour et l’espoir de ces cœurs à prendre encore puérils, innocents, accueille l’espoir et l’attente de toute une génération qui ne crois plus en rien d’autre parce que, mais parce que l’avenir paraît compromis, le passé ne semble pas nous avoir enseigné la moindre leçon si l’on considère les crises, alors que nous reste-t-il à nous, amoureux de la vie ? L’ici et maintenant, la fontaine de la place Saint-Michel et la rencontre entre deux (peut-)êtres. Le désir de construire quelque chose de plus simple que ce à quoi mènent les contraintes du quotidien, quelque chose de plus durable aussi que ce que nous avons fait de notre propre environnement à force d’en exploiter les denrées sans commencer par préserver nos ressources. Toi la fontaine de la place Saint-Michel, soit donc la nouvelle jouvence d’une vie ici maintenant, donne le là, comme une présence bienveillante sous forme d’une note de musique sur laquelle accorder nos élans et nos joies, créer une nouvelle harmonie parce que le VIe donne la Vie, c’est pour tout cela que je l’ai invitée depuis sa province à me retrouver place Saint-Michel comme si nous avions toute la vie devant nous, elle pour changer de cadre, moi pour l’épouser. Nunc est bibendum, c’est maintenant qu’il faut boire ! Posons-nous donc à la Gentilhommière, place Saint-André-des-Arts, pour voir sans être vu et apercevoir ses réactions en lui causant. Nous échangeons depuis six mois seulement sans ne nous avoir jamais vues sinon pour de faux, l’émotion est immense parce que derrière l’image d’elle son visage s’anime et je découvre avec avidité ses expressions, sa voix qui m’est si familière trouve écho en moi dans un éclat de joie. Plus jamais je ne pourrai la quitter des yeux ni lâcher sa main au moment où je fais ma demande. En guise de réponse, elle serre ma main encore plus fort et m’invite à me lever pour s’en aller, nous vidons les coupes avec lesquelles nous avons trinqué à nos heures heureuses avant d’emprunter la rue Saint-André-des-Arts, qu’elle semble connaître comme si elle y suivait Marguerite Duras qui remonterait vers la rue Saint-Benoît en prenant par la jolie ruelle sinueuse. Sa démarche est déterminée comme la mienne, elle avance vite et se fond dans le paysage germanopratin de mes années d’études, j’ai l’impression avec elle de rattraper le temps perdu et de retomber en bohème, quand tout n’était qu’urgence vitale et soif de savoir, de tout voir, aujourd’hui c’est elle que je veux apprendre par cœur jusqu’à l’avoir dans la peau toute entière, tatouée comme un poème écrit par nous deux et qui, récité tous les matins, porterait chance. Nous courons rue de Buci, prise d’assaut elle aussi par les piétons et ce vent de révolte locale. Arrivées rue de Seine, les âmes de Simone de Beauvoir et de Juliette Greco sont très présentes, nous chantons Il n’y a plus d’après en lorgnant au-dessus du primeur sur la fenêtre de la chambre ronde numéro 10, la chambre préférée de tous ces écrivains passés par l’hôtel La Louisiane. Odi profanum vulgus et arceo, je hais le vulgaire profane et je l’écarte. Fuyons les boulevards ! Evitons les routes toutes tracées, même si rien ne l’est jamais dans la vie, et optons pour la rue de l’Abbaye si tentante parce que c’est le Chai de l’Abbaye qui initie encore le trajet au coin, avec sa terrasse ouverte au tout venant, on sent pourtant qu’il faut être initié pour se sentir bien. Nous commandons deux nouvelles coupes dont je sais déjà que nous n’aurons pas le temps de les boire et en savourer toutes les bulles parce nous sommes appelées par plus important ce jour. L’urgence dans l’immédiat, c’est de s’embrasser et la rue vide de tout passant nous unit à vie, le soleil semble rayonner plus fort dans ce quartier qu’ailleurs, nous sommes ensoleillées, ivres, le bonheur de notre rencontre place Saint-Michel n’aurait pu nous combler plus amplement, nous marchons certaines de notre chemin et sans avoir échangé un mot depuis le rendez-vous. Je ne sais pas où elle veut me mener mais elle tient toujours fermement ma main dans la sienne, nos pas sont rythmés par la même folie d’un tête-à-tête qui peut aboutir à la déception profonde comme à la certitude que tout ce que nous avons dit, échangé, promis, pourrait bien ne pas l’avoir été comme des paroles en l’air et qu’il ne tient qu’à nous aujourd’hui, ici et maintenant, de réaliser notre rêve en concrétisant notre union dans le quartier où la langue, le dit est sacré. Cela fait six mois que je lui demande si elle veut m’épouser, sa langue et ses mots, son humour, tout me parle d’affinités particulières comme jamais et son humour me désarçonne sans même avoir entendu son rire, j’ai l’impression de devenir intelligente en saisissant son trait d’esprit, je ne veux pas la laisser s’envoler, je la retiens par la main autant que par les bulles, je la veux. Mon désir est au maximum de son apothéose, je vis le moment comme une acmé, comme si le quartier latin était devenu un mont à gravir pour mériter le graal suprême entre deux êtres. Sapere aude, ose savoir ! Elle sait que nous approchons de la rue Saint-Benoit, son excitation est à son comble et je suis fascinée de la suivre dans sa pérégrination parisienne, je vois bien qu’elle met des images sur ce qu’elle n’a fait jusqu’à présent que fantasmer, comme moi elle. Nous déboulonnons de la rue sur le parvis de l’église de Saint-Germain-des-Prés, magistrale, soumise au Pape, une foule de touristes semble n’attendre que nous, je me dis qu’elle va fuir, au contraire elle s’arrête enfin et se pose en face de moi ses mains dans les miennes, elle dit oui. Bis repetita placent, on prend les mêmes et on recommence ! Parce que les choses répétées plaisent, buvons et abusons des bulles, des bonjours au réveil à deux, ses yeux dans les miens, promenons-nous tous les jours main dans la main sans prévoir le lendemain, puissent toutes ses heures être aussi heureuses que les miennes en sa compagnie, renouvelons nos vœux toujours, déclarons-nous encore et encore jusqu’à ce que tous les mots soient utilisés pour le dire et toute la salive de nos bouches vidée et alors nous pourrons nous regarder encore et rire, jouir, rêver. Je lève mon regard au ciel, je demande à qui m’entendra pour faire que cela soit. Carpe Diem.

Photo : Marc Chagall, « La Vie », 1964.

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