Toujours tout vouloir savoir de manière obsessionnelle ne permet pas forcément de tout savoir, c’est au moins l’occasion de prendre conscience de ce fameux côté obsessionnel. J’ai pris des cours de chant avec une amie coache vocal chez qui j’ai reconnu cette obsession. Elle avait installé un studio entier au sous-sol, avec un piano, une table de mixage et des micros, des guitares accrochées au mur, il y avait un bureau et un sofa pour être à l’aise, et aussi une moquette très épaisse sur laquelle je m’agrippais de la pointe des pieds comme pour mieux m’enfoncer dans ce petit havre. J’ai été attirée vers les aiguës en travaillant mes graves, contre toute attente. La coache m’a d’abord invitée à quelques exercices d’échauffement, le premier a consisté à s’étirer de tout son long, mes doigts pouvaient presque toucher le plafond, ensuite nous nous sommes enroulées sur nous-mêmes, elle sur elle et moi sur moi, jusqu’à toucher nos pieds des mains, avant de nous accroupir enfin pour  les exercices de respiration. J’ai la fâcheuse habitude de retenir ma respiration, je m’aperçois parfois que j’ai le souffle coupé, de fait j’ai eu du mal une fois accroupie tout en bas à accélérer la respiration jusqu’à haleter comme un petit chien, et au moment de remonter et me relever tout doucement, j’ai ressenti une sensation de vertige comme si j’avais grandi trop vite ou pris à la volée un dernier centimètre d’adulte. La tête a commencé à me tourner, j’ai du m’assoir pour ne pas tomber. On oublie facilement qu’on peut tomber de sa propre hauteur, sans avoir gravi de montagne. La sensation de vertige m’avait tirée vers le bas, comme une chute abrupte en moi-même, par manque d’oxygène. Une autre sensation de vertige, grisante cette fois, m’avait au contraire rempli le cerveau, les poumons, et ravi le cœur, lorsque la grande magicienne faisait un tour. Et cela tenait parfois à vraiment rien du tout, si peu de choses, une accélération par exemple.  La fois où j’avais pour mission de récupérer le chat de Natalie, partie à l’autre bout du monde, en mode sauvetage d’urgence parce qu’il était menacé d’être mis à la porte par sa gardienne, je me suis retrouvée sur le scooter de mon aventurière venue en renfort, le chat dans mon dos. L’animal apeuré miaulait dans les tons graves, inlassablement, les gens se retournaient sur notre passage et sans avoir remarqué le sac que je portais, me regardaient d’un air perplexe. Le temps de monter le chat dans l’appartement de Natalie et de retrouver ma place sur le scooter, par quel truchement je ne saurais le dire, je ne me suis plus tenue au support derrière moi mais en prenant la magicienne par la taille, ce que je n’avais pas osé faire jusqu’à présent. Au moment où elle a démarré, j’ai senti une sensation vertigineuse m’entraîner vers des hauteurs d’où je tremblais de joie en retenant mon souffle et l’éclat de rire du bord des lèvres, agrippée à elle que j’étais et grisée un peu par la vitesse aussi, j’aurais pu crier, j’aurais voulu.  Il y a des intimités dont on ne soupçonne pas qu’elles puissent s’exprimer aussi puissamment à l’instant où le rapport à l’ordinaire se trouble et qu’on bascule d’un coup, vertigineusement.

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