Il faut plus d’une fois pour un conte de fée #26

le bleu m’éclabousse j’habite l’immensité 
d’un océan où la poésie crée l’indécent
ce lieu improbable où le pire
peut sonner juste
où le meilleur échappe à la réalité
et dans ce chez moi le trop plein est accepté
ici tout tangue 
ton immeuble s’écrase au mien
et quand tu marches il y a toujours ce clocher
un rien ferait tout chavirer 
c’est comme ce phare 
que dans ton regard j’avais cru voir s’allumer

Photo : Vassily Kandinsky, « Moscou », 1916.

Il faut plus d’une fois pour un conte de fée #22

ou peut-être ma vision 
fut particulière 
de ce monde où nous n’étions 
pas contemporains 
et l’ici s’est dissipé 
en grande poussière 
de souvenirs inventés 
variations intenses
le maintenant qui s’écrit 
en folle impatience 
dans une nuit déliée
je lui appartiens
il me relit au matin 
la lumière se fait

Photo : Edvard Munch, « La nuit étoilée », 1923.

Il faut plus d’une fois pour un conte de fée #20

l’animal qui m’écrase est celui que je dresse pour calmer mes ardeurs 
et traquer la clarté tant la force invisible 
d’outre-tombe me soulève 
la pierre n’a pas de porte sa voix me dit d’entrer ma peau se fait écorce 
la terre coule à mes pieds de la paume de la main 
je pétris mon orgueil 
le pétrin de nos jours on en sort en payant j’ai une dette éternelle 
un devoir qui m’oblige à cabrer l’animal 
pour gagner ta hauteur

Photo : Parmigianino, « La Conversation de Saint Paul », 1527.

Il faut plus d’une fois pour un conte de fée #19

j’ai la main animale 
c’est la tienne que je tiens 
je connais son toucher
sa peau fine son doigté
la main gauche d’écriture
parce que c’est interdit 
de te parler du diable
se raidit dans l’effort
et manie son épée
repoussant du poignet
l’idée d’abandonner
d’une caresse et de loin
j’en épouse la courbe

Photo : Joan Miro, « La bague d’Aurore », 1957.

Son île à elle, ses ailes à lui #88

l’écriture restera après que le silence ait effacé le reste 
tout ce qu’il fallait dire
j’ai les mains éblouies quand je lis je relis le blanc entre les lignes 
de tes occupations
et je bois comme du lait chacune de tes nuances j’ai épuisé ma force 
puisé dans mes faiblesses
puisse la main qui se pose sur ta longue page blanche la caresser longtemps 
dans le sens de ton poil 

Photo : Jack Youngerman, « Black, Red and White”, 1962.

Son île à elle, ses ailes à lui #87

il faut plus d’une fois pour défaire toutes les autres
j’ai dénoué ce feu et je n’en veux pas d’autre
il y a dans nos nœuds l’idée d’éternité
à devoir cliver mer et île
force fragile
nous pourrions nous noyer
sans retrouver le fil
que tu as initié
à tes risques
mon péril
l’écriture saura-t-elle le meilleur retenir
l’écriture restera cette autre à définir 

Photo : Alexander Calder, « Homme tigre et homme rouge », 1965.

Son île à elle, ses ailes à lui #76

ce qui passe dans le ciel entre la nuit et le jour s’il y passait ses ailes 
pour me dire bonjour 
j’y verrais un personnage entre rouge et noir scandant ses pas le regard 
fier dans les étoiles
deux billes noires rusées amusées par le vent tout et ce qui pourrait 
la distraire d’elle-même
il faisait si sombre par certaines journées dites-moi comment sa page
éclairée de blanc
éveille l’envie de mille soleils pour que le bleu sans prévenir se mette à 
chanter en silence
racontez-moi comment le noir le soir venu fait scintiller ses pupilles 
l’ouvrage terminé

Photo : Joan Miro, « Personnage dans la nuit », 1974.

Son île à elle, ses ailes à lui #63bis

il me dit que la terre est ce livre à écrire 
chaque matin à nouveau du début s’il le faut
tous les jours diffèrent et le même à la fois
fait d’un rêve de silence et du bruit de mes pas
de l’absence de ta voix de ce vide là en moi
dr tout ce que j’y mets pour le garder secret 

Photo : musée Marc Chagall, Nice.

Son île à elle, ses ailes à lui #32

l’océan clandestin clopine de bon matin 
les vaguelettes se jettent en rythme saccadé 
comme pour mieux échapper au trafic en pleine mer
qui se fait en cachette 
une fois la lune couchée 
je revêts ma vareuse et prends mon air sérieux
mon pas est militaire mes intentions naïves
je veux partir au loin et mieux me revenir
rien de plus enfantin 
en costume de marin 
mon rêve est tricoté dans de la laine épaisse
on salut mon passage oh matelot courage
le sabre de la garde y voit des étincelles
j’embarque pour l’aller
un ailleurs sans retour

Photo : Pablo Picasso, « Maya en tenue de marin », 1938.

Son île à elle, ses ailes à lui #23

ce silence tu le dis 
ce silence fait du bruit 
une énergie sauvage 
quel est ce cœur en rage
aucun génie ne gère 
les vœux mal exprimés 
je te viens à l’envers
m’éloignant à la hâte
puisses-tu me rattraper 
mais pas trop près du bord
il n’est d’énergie pure
que celle que l’on gaspille
je renifle les signes
qui n’existent même pas
tu es ici j’y suis
aussi tu n’y es plus
sauf en promesse et moi
je reste je le confesse
ce silence c’est la pluie
et le bon sang aussi
ce qui n’est pas matière
n’est pas perdu encore
j’ai tout à gagner en
ne m’inquiétant donc pas

Photo : Joan Miro, « Lithographie », 1964.