Et pourtant, je me suis mise à courir, comme un besoin de délier mes jambes après les avoir crispées sans réussir à pousser avec puissance sur les quarante kilomètres du parcours vélo. Tout d’abord, il faut circuler dans le parc sur d’innombrables boucles avant de sortir sur le port de Cherbourg pour deux boucles sur lesquelles les coureurs se croisent dans les deux sens, les badauds s’écartent à peine pour nous laisser passer, l’événement tire à sa fin. J’ai le moral dans les chaussettes et je ne m’explique pas cet échec sur le vélo, tout en comprenant parfaitement que sans avoir roulé je ne peux pas avoir le niveau d’un cycliste, je m’en veux. Je double tout de même quelques coureurs dont un gars qui me félicitera pour ma « remontée » sur la course à pied lorsqu’il viendra sur le stand de ravitaillement boire du coca. Comme au triathlon de Chantilly, je ne sens pas passer les dix kilomètres, mes jambes fonctionnent beaucoup mieux que sur la selle, je n’ai aucune question à me poser, je fixe le coureur devant moi dans l’intention de le rattraper et de fait, je finis par le doubler, ça marche. Je cours depuis cinq ans, je n’ai roulé qu’à l’occasion des triathlons, je nage depuis six mois, il ne faudrait pas non plus s’attendre à un miracle, je devrais me satisfaire de franchir la ligne. L’arche de la ligne d’arrivée a déjà été rangée et les récompenses sont en train d’être distribuées, les athlètes sur le podium sont applaudis, la bière coule à flot sur le stand du club. Je l’ai fait, avec un résultat plus que médiocre en vélo, mais j’ai bouclé les 10km en 48mn. J’ai progressé en natation, sur le temps comme sur la technique, voyons le bon côté des choses, et surtout je sais ce que j’ai à travailler pour la saison prochain, en vue du format L. Pour l’instant, la priorité est à la douche chaude dans les vestiaires du club, à une pinte dans un troquet sur les quais face au coucher du soleil et au retour en train, la fatigue se fait sentir. L’eau n’est plus chaude dans les douches, je peine à trouver un troquet proche de la gare et au moment de m’assoir en terrasse, une pluie diluvienne s’abat sur Cherbourg. C’est à ce moment que j’ai commencé à apprécier la ville où des convives m’ont invitée à me réchauffer à l’intérieur en m’assurant que sous ces trombes d’eau, personne ne volerait le vélo. Tout le monde semblait se connaître et les gens sont venus vers moi facilement, le ciel s’est éclairci. Le temps de finir ma bière, je me suis imaginée avec bonheur m’installer ici et rouler le soir. Eviter les transports pour aller nager en eau libre, éviter la foule pour sortir de Paris à vélo… éviter aussi la collision avec le sanglier à une heure de l’arrivée à la gare Saint Lazare, l’animal a défoncé le train qui reste immobilisé trois heures. Les pompiers passent dans les compartiments mais n’ont pas de couverture de survie, personne ne sait comment arrêter la climatisation qui nous frigorifie tous les membres, je sors dans le couloir faire les cent pas. Bien sûr, une fois à Paris, il est quatre heures du matin, une queue de taxis nous attend, prévenus de notre déconvenue. Je remonte à vélo vers la place Clichy, Paris s’offre à moi.