Deux semaines déjà qu’elle est là-bas et que je me languis de ma grande magicienne. Elle me raconte sa rencontre avec un jeune et joli baobab qui se trouve être nomade lui aussi, ses racines vont et viennent sous la terre à la recherche d’eau pour survivre dans son univers, plus précisément le baobab est un catalyseur, il ne serait pas limité dans sa structure d’arbre. Parfois, lorsqu’elle me parle de la vie et des choses qu’elle fait et voit, j’ai l’impression qu’elle me parle d’elle tant ses mots sont choisis, son propos juste et abouti, ses idées fines. Bien sûr le baobab est un catalyseur, mais il m’importe davantage d’entendre parler, pour mieux la comprendre, de cette faculté innée chez mon artiste partie à l’autre bout du monde, qui lui permet par exemple d’attirer tous les regards lorsque quelqu’un d’autre a la parole, simplement par sa présence insuffler une vague de sagesse, créditer une vérité ou un récit, comme si tous les regards se seraient tournés vers elle sans qu’elle ait bougé le petit doigt. J’aime à croire qu’un tissu de liens invisibles et magiques la relie aux origines et aux esprits, il m’apparaît la plupart du temps qu’elle a connaissance d’éléments souvent essentiels à la compréhension pleine et entière du sujet concerné, et que personne d’autre n’aurait apportés. D’autres feraient de ce talent un trafic frauduleux, abuseraient de ce pouvoir ou en feraient trop, j’ai vu la mauvaise graine d’un autre genre à l’œuvre alors que le propos était creux, faux. Elle a du consulter ceux parmi les baobabs les plus anciens et sages de mille ans pour parvenir à ce discernement dont elle tire aussi cet état précieux d’apaisement. J’imagine les plus anciens baobabs lui parler de la maîtrise du temps, une fois passés les premiers siècles et à condition de s’être montré capable de solidarité au sein de la même espèce et à l’égard des espèces végétales étrangères voisines et amies, je la vois ici la sagesse du baobab, et chez elle. Quelle surprise alors de l’entendre me parler de la colère du diable et du sort qu’il aurait jeté au baobab à cause de son air prétentieux, presque suffisant, il lui aurait retourné les racines en l’air pour le punir, j’en ai des frissons, d’où son air un peu piteux, mais toujours adorable. Pour ma part, je ne pense pas un instant que le baobab ait fait preuve d’arrogance, il n’y a que les Dieux pour empêcher toute espèce vivante, végétale, humaine ou animale, d’accéder sinon à l’immortalité, du moins à une forme de sagesse dans la maîtrise du temps. Point de permanence sinon divine, elle est belle la solidarité. La permanence reste donc la quête ultime. Et l’impermanence, la réflexion qui nourrit quelques échanges avec ma comète pendant ces instants interminables jusqu’à son retour. Elle devine mon inquiétude, les choses qui passent et disparaissent, ou pire changent de nature sans prévenir, ne m’ont jamais rassurée plus que cela, et me suggère une autre vision de l’impermanence, à savoir l’évolution naturelle des choses de la vie, plutôt qu’un mouvement de destruction nécessaire vers la mort.
Rien n’est figé, par essence, le secret s’il y en a un, est de rester dans l’instant présent. Etre là.
Crédit photo : Nathalie de la Tour