J+10. Courir seule à nouveau et retrouver mes repères, renouer avec mes trois stades. Je cours pour moi, pour la simple raison que j’ai eu envie de sortir et d’accélérer le pas pour revenir rompue et en transpiration, totalement détendue en cette fin de semaine glaciale. En cette veille de week-end chorale, des airs me reviennent en tête et je remarque à quel point le pupitre des altos a travaillé dans les aigus sur certains chants, Nina Simone ou encore Glück, sans pour autant délaisser les graves que nous affectionnons avec la fierté de notre identité, peut-être que le travail des notes plus hautes nous a permis de mieux faire sonner les basses. Je me demande s’il en va ainsi entre vitesse et endurance, est-ce que je vais progresser dans mes sorties longues en travaillant des séances de fractionné sur de plus courtes distances ? Nous passons le week-end à sélectionner certains passages, parfois une seule mesure, les premières notes d’introduction ou même la justesse du point d’orgue de la fin d’un morceau, et nous le répétons voix après voix jusqu’à ce que le résultat soit satisfaisant, certains enchainements virent à l’obsession et c’est le but car à force de répéter l’harmonie se révèle. Bientôt nous obtenons un son de pupitre, aucune voix ne se distingue plus et il émane de chaque note une rondeur comparable à une gorgée de bon vin qui anime les sens avec fièvre, réchauffe l’âme et invite les convives aux discussions les plus inspirées, légères et joyeuses. Lorsque je suis entrée à la chorale pour chanter dans le pupitre des altos, je ne pensais pas trouver ma voix à ce point au sein d’un groupe de choriste et vouloir me fondre entièrement dans la beauté et l’unité d’une seule et même voix accordée entre nous, il suffisait qu’il en manque une parmi notre groupe et notre voix n’était plus la même non plus, je ne m’y reconnaissais plus de la même façon, et si je chantais seule ma voix retrouvait cette harmonie. Jamais autant un groupe ne m’avait permis de trouver ce qu’il y avait d’unique dans ma voix grave en écoutant d’autres voix et en m’unissant à elle, pour autant je ne me suis pas mise à chanter seule en entrant à la chorale, pas plus qu’avant, j’y ai trouvé ce fameux son de pupitre. Au contraire, je n’ai pas trouvé ma foulée en courant à plusieurs, je l’ai même plutôt perdue en cherchant à courir à la même allure que d’autres, en ralentissant pour mieux rester derrière. Je retrouve le plaisir de courir dans mes sorties en solitaire, je décide du parcours et je l’adapte en fonction de ma forme plutôt que je ne compose avec une distance imposée d’emblée, j’ai toujours en mémoire la sortie de la veille, je me motive à aller toujours au-delà, lors des tours de piste je m’essaie à quelques accélérations, je ne m’arrête plus du tout en route, au contraire, forte de cet élan retrouvé, je me sens capable d’ajouter quelques foulées. C’est alors que, précisément au moment où je ne ressens plus ce sentiment qui m’habitait, j’identifie ce découragement auquel j’avais succombé sans en prendre conscience vraiment. Je reprends mon souffle, je retrouve confiance enfin. Le plaisir de courir seule est intact, salutaire.

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