Ce jour de folie, un samedi, où elle me sert si fort que je sens qu’elle pourrait m’avaler.

Mon étonnement le jour où je lui ai proposé de venir avec moi à Köln, voir ma ville. Elle était déjà allée en Allemagne, savait parfaitement imiter la tonalité d’une conversation teutonne, mais jamais elle n’aurait choisi cette destination pour un week-end en amoureuses. La première fois que je lui avais proposé de partir en week-end ensemble, dès la semaine suivante, j’avais été très étonnée, flattée aussi et tellement heureuse, qu’elle accepte de suite. Un week-end en Champagne et en Bourgogne, l’occasion de profiter d’une première randonnée ensemble, nous avions parlé déjà de notre intérêt commun pour la marche, depuis le trek sur les hauts sommets de son côté et du mien la course dans les stades de mon quartier.

Nous nous étions déjà essayé au squash ensemble, elle avait fait partie d’une équipe et participé à de nombreuses compétition, elle n’avait rien perdu de ses réflexes et de son jeu. J’ai adoré boire une bière, ruisselante de transpiration, en train de la regarder dans le même état mais ravissante, m’expliquer les différents points sur lesquels je devais travailler mon jeu. Ses joues étaient empourprées, elle avait attaché ses cheveux et quelques mèches tombaient, rebelles à tout ordre, elle était affalée dans le fauteuil et aussi détendue que je pouvais l’être. Nous faisions encore connaissance elle et moi, je ne pouvais pas savoir que j’en serai toujours au même point, six mois plus tard, à apprendre à mieux connaître cette comète très spéciale.

Nous avions pris une première douche ensemble, à l’écart, dans les vestiaires du Club, le lendemain du premier dîner chez elle, seule à seule, j’étais rentrée tard dans la nuit, hilare, amoureuse. Mais elle n’en savait rien, c’est en tout cas ce que je voulais croire de mon côté, et je devais me montrer discrète dans mon comportement dans les vestiaires du club de squash, où il n’y avait personne d’autre qu’elle, je la voyais nue sans qu’elle remarque mon manège, je ne pouvais pas ne pas être attirée par sa beauté plastique parfaite, son élégance, sa légèreté. Nous nous sommes quittées devant son scooter et elle a continué à me hanter jusqu’au soir, toute la nuit et aussi la sainte semaine qui a suivi jusqu’à ce que je la revois au café l’Artiste, trois jours plus tard qui m’avaient paru une éternité pendant laquelle je lui envoyais des messages pour la séduire, je recevais des vidéos de squash pour que j’apprenne la technique.

Dès le week-end suivant, nous étions à nouveau sur le terrain de squash et cette fois-ci, le dîner chez elle était prévu après, elle m’avait proposé de tester sur moi une nouvelle recette sri-lankaise, elle qui n’avait soi-disant jamais ou très rarement cuisiné dans sa vie venait de se trouver une passion pour les plats savamment épicés, une aubaine que je savais apprécier. Nous sommes arrivées chez elle, sur son scooter, le ciel était pâle et rose, intense de retenu, comme en suspens et dans l’attente de la note finale, je me projetais de manière indécente dans une habitude hebdomadaire de squash et de douche, d’épices et de senteurs magiques.

J’aimerais être près d’elle, j’aimerais me serrer contre elle tout le temps, tout contre elle, partout et en même temps ne pas la déranger, l’observer vivre et mieux me faire oublier. J’aimerais qu’il n’y ait plus comme dénominateur commun entre la grande magicienne et moi la sorcière par laquelle je l’ai rencontrée, j’aimerais en finir avec la langue de vipère, l’envoyer paître sur une île déserte, la catapulter sur Pluton comme pour éloigner tout danger. Mais il faut me taire, éviter le conflit et ne pas risquer l’affront, lâcher prise encore et encore. Je reste là dans l’attente de ce qui pourrait se passer, comme s’il pouvait se passer quelque chose qui m’aurait échappé, alors que la situation attend quelque chose de moi pour évoluer. Vers quelle couleur m’orienter ? Les rayons lumineux m’excitent et la clarté du ciel m’apaise, les feuilles dans les arbres m’intriguent, ça grouille et soudain, je me sens attirée par un arbre.

Nous marchons parmi les pins dont les cimes me protègent encore de la sensation de vertige, je ressens l’envie de serrer l’un des arbres dans mes bras, de sentir la fermeté de son tronc contre moi et m’appuyer sur la tentante et délicate fragilité de l’écorce, la faire craquer. La grande magicienne m’a surprise au moment où je cédais à la tentation d’enlacer mon arbre. Depuis un long moment déjà, je la suivais sans qu’elle ne se retourne, il a fallu qu’elle choisisse ce moment pour surveiller ses arrières, à croire que l’arbre s’est mis à soupirer de satisfaction. Je me rends compte soudain que le soupir vient de moi, l’arbre n’y est pour rien, qui se laisse enlacer sans oser émettre le moindre commentaire, ça doit jaser dans les racines. A la place, la grande magicienne a l’audace de nous interrompre en poussant un gloussement de stupéfaction, dans mon élan je suis à présent complètement appuyée contre l’arbre et m’apprête même à fermer les yeux pour me laisser aller à la chaleur intense de la vie végétale.

J’aimerais que la grande magicienne soit jalouse de l’arbre dont elle ne connaît ni les racines ni l’aspiration de sa cime, j’en suis là de mes atermoiements lorsque son air surpris et sa mine feignant l’atterrement et le scandale imminent me procurent cet éclat de rire salvateur qui dissimule dans l’instant mon désarroi alors que s’immisce en mon esprit ce moment gravé pour l’éternité où j’ai serré le corps si désiré de cette comète tombée dans mon ciel un soir, j’aurais voulu vivre à nouveau cet instant, l’excitation dans l’intensité d’un long soulagement, des milliers, des milliards de fois encore, toutes les secondes depuis cette minute de ma vie, pour la faire durer une éternité.

Mais il faut avancer, la marche a repris et je dois gravir les lacets devenus plus étroits, je reste derrière elle et parfois perds du terrain parce que sous mes pieds le sol se dérobe et qu’il n’y a plus aucun arbre à enlacer pour puiser dans son énergie, me connecter à sa force et tenir jusqu’à ce que ce moment de vertige soit passé, que la vie reprenne, et avec elle l’espoir, la chaleur, l’écorce, l’enracinement.

C’est un matin, j’avais déjà pris ma douche, prête à partir de chez elle sans attendre qu’elle ne m’incite à m’en aller, je sors de la salle de bain et m’assied sur le canapé où, à ma grande surprise, elle ne s’est pas installée. Si je l’y avais retrouvée, comme prévu selon moi, je n’avais plus qu’à prendre mes affaires et à déguerpir, n’ayant plus de raison de rester ici. Entre nous, ma place est sur le canapé, sur la partie de son côté, elle-même s’asseyait sur un fauteuil bas en cuir, très confortable et décoré d’un tissu qu’elle avait ramené d’un voyage. Parfois, le tissu glissait dans son dos lorsqu’elle s’agitait trop à l’occasion d’un récit animé, d’autres fois, nos pieds se touchaient de pars et d’autre de l’un des pieds de la table basse. Mais ce matin, elle n’était pas assise à la place qui était la mienne lorsque nous passions un moment assises devant la table en bois noble, qu’elle avait réalisé de ses propres mains, elle attendait que je sorte de la douche et s’est approchée de moi l’air ludique et la mine réjouie. Elle a commencé par me flairer comme pour vérifier si je m’étais correctement savonnée, puis elle m’a attrapée comme le ferait un fauve pour ramener l’un des siens à la tanière, par la peau du cou, en mode panthère qui n’a pas eu ce qu’elle voulait, avec une idée précise en tête.

La nuit, tous les chats sont gris et ma panthère est bleue, ses yeux percent dans le noir et son souffle me parvient d’un pays lointain qu’elle visite, à la rencontre d’autres que moi, ses cheveux hirsutes tombent sur son visage et lui donnent un air sauvage, je l’entends rugir. Elle rencontre toute sorte de peuplades dont elle me parle au réveil avec ce regret de ne pas avoir pu aboutir à mieux qu’un rapport évasif et délité alors qu’elle était en train de nouer des relations fortes et solides, capables de braver le sentiment d’étrangeté dont souffre l’humanité et dont elle semble connaître l’enjeu, pour en avoir subi les affres ici, mieux que quiconque. Là-bas, on l’accueille et elle est attendue depuis au moins aussi longtemps que ses aventures lui inspirent des rêves encore plus fous pour renouveler ses escapades dans le monde et enrichir le pouvoir magique de ses rencontres avec les gens sur place par le miracle d’un lien. Elle me raconte la rencontre au petit matin, ses yeux sont encore remplis d’une lumière particulière et ses cheveux sentent le sable chaud, elle revient à peine de son périple onirique, c’est beau d’avoir des nouvelles depuis l’autre bout de la Terre à l’occasion d’un rêve inspiré. Depuis la nébuleuse de mon inconscient, je l’écouteégrener des noms exotiques qui veulent me prendre par la main pour me montrer où les trouver sur la carte, mon esprit se dégourdit, piqué par la curiosité de savoir sur ce qu’il s’y est passé alors que je dormais dans ses draps. Les souvenirs semblent s’éloigner comme la vague se retire déjà de la plage après la déferlante pour plonger dans les profondeurs de l’océan trouver un nouvel élan en allant puiser sous le sable les ressentis qui crissent enfouis, matière trépidante pour la nuit suivante. Je la laisse vagabonder encore quelques instants dans les méandres de ses rencontres insolites tandis que l’odeur de café et l’attrait des confitures, marmelade à l’orange et moelleux de la figue, finissent de délier les paupières, la journée se construit depuis le succès du lien matinal. Je cours après les habitudes avec autant d’entrain que si je sortais au stade, je guette les repères comme s’ils étaient signe de continuité, de cohérence entre nous et de permanence des sentiments qui, s’ils se sont déclaraient au début, se disent moins et se confortent dans nos retrouvailles hebdomadaires, moi j’ai juste peur qu’un matin elle ne me parle plus ou qu’un soir elle oublie de me filer rencard, qu’elle ait mieux à faire que de me retrouver, j’y pense. Elle m’en fait voir de toutes les couleurs sans que je ne saisisse son astuce pour passer de l’obscurité du bleu nuit à la chaleur de jaune canari un peu fou et qui me renifle de partout, je passe par des états d’immaturité et d’inquiétude, presque verte de peur j’attends des nouvelles, jusqu’à recevoir un message de sa part et sentir mes joues s’empourprer d’enthousiasme, je décline la palette des émotions et réagis comme une marionnette dont on tiendrait tous les fils pour s’amuser des réactions colorées et désarticulées, inspirer pour s’inspirer. Œuvrer.

20 Sept. 2017 – 20 mars 2018

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