J+15. Rien ne va plus. La cheffe de chœur est absente, la chorale a perdu tout repère pour prendre le départ d’un chant, et c’est un peu la panique comme lorsque je peine le matin à exploser pour partir courir et atteindre une certaine vitesse dès le tout premier kilomètre, sans prendre le temps de m’échauffer, en partant à jeun, réveillée depuis trois quatre minutes. Il faudrait que je me précipite hors de chez moi comme sous l’effet d’une urgence, le feu au cul, surgie telle une fusée des starting-blocks et que je me mette à courir comme une dératée. Bien sûr, il n’y aurait quasi personne dans les rues autour de sept heures pour me juger au moment de me partir précipitamment comme si j’avais quelque chose à me reprocher et que je prenais la fuite, pourtant rien de moins naturel que de partir en sprint pour une sortie matinale. Un illustre sociologue a analysé notre réflexe au moment où, en pleine rue et alors que nous marchons d’un pas décidé sans prêter gare aux autres passants, nous nous apercevons par exemple que nous avons oublié d’éteindre le feu sous une casserole. La situation est farfelue. Au lieu simplement de rebrousser chemin, quitte à surprendre les gens qui nous suivaient jusqu’alors, souvent nous marquons un arrêt, nous voulons justifier notre réaction soudaine. Parce qu’aux yeux des autres, cela pourrait paraître suspect de rebrousser chemin sans prévenir, je vais me taper le front, jurer à haute voix, pour leur montrer que je suis réfléchie. Cela pourrait être la même chose si d’un coup je me mettais à courir aussi vite que possible, plus vite que prévu, je risquerais aux yeux des autres passants de passer pour une vraie folle. Sauf que cela n’arrivera jamais car je n’ai pas la puissance de superman pour décoller en pleine rue et en mettre plein la vue, moi je slalome entre les passants, je bouscule gentiment. Tous les matins je prévois de partir plus vite que d’habitude mais je manque de super pouvoir. Un illustre blogueur a récemment encouragé à dessiner des bonhommes en bâtonnets, de chanter faux, de composer des vers de mirliton, de confectionner des vêtements ratés, de courir lentement, de draguer lourdement, parce que je n’ai pas à être experte pour m’amuser. Parce que le talent est surévalué. Faire ce que j’aime pour le plaisir de me faire plaisir surtout. J’ai le droit d’être nulle. Courir pour le plaisir plus que pour ressentir la puissance me gagner. Ou pour le plaisir de me sentir puissante ? Pour l’instant, je me retrouve tous les matins telle Sisyphe dans ma sempiternelle impuissance à décoller d’un coup enfin en me mettant à courir. Pourtant j’y retourne tous les matins, prête à en découdre toujours et encore avec ma nullité. Un illustre écrivain, Camus pour ne pas citer ce dernier, a fait de Sisyphe un homme heureux. Certes sa tâche n’a aucun sens puisqu’il la répète à l’infini sans que jamais il ne puisse mener jusqu’à son accomplissement le hissage du rocher jusqu’au sommet de la montagne, cependant il vit comme un accomplissement déjà le fait d’avoir à exécuter cette tâche absurde. La chorale s’est révoltée contre les repères et a chanté, fière d’avoir rencontré son autonomie.