Depuis quand n’ai-je pas fait le tour du cadran, depuis quand n’ai-je pas dormi tout mon soûl. Je me réveille désorientée comme jamais, quel jour et combien sommes-nous, qui suis-je ce jour où le soleil est déjà haut dans le ciel, c’est un jour spécial, d’abord j’écris ensuite je roule et je nage pour enchaîner vélo course à pied, enfin je chante avec la chorale, un jour très spécial. La machine à café est à sa place dans la cuisine et mes idées pour une fois aussi, plutôt en ordre, mes rêves sont encore très présents dans mon esprit moins embrumé que les jours précédents. J’écris l’un deux, le dernier forcément parce que des autres je ne me souviens que des personnes, avec un souvenir très agréable que je préfère garder pour moi, la lumière est divine, je fredonne, la chorale chante au Palais de Tokyo ce soir et j’y pense sans réaliser encore ce que je vais vivre parce que pour l’instant la priorité est de réviser les chants et connaître les paroles par cœur. Avant le festival « Alliance des Corps » qui rassemblera quarante associations sportives et musicales amatrices et professionnelles dans un spectacle inspiré d’une folie totale et débridée, je dois m’aligner à mon tout dernier triathlon de la saison, le format le plus court, Super Sprint, un départ dans l’eau dans un bassin de 25m, en l’occurrence la piscine Jacqueline Auriol dans le chic quartier du 8e et une épreuve en force sur les trois épreuves, très courtes et ultra intenses. J’avais dû annuler ma participation au mois de mars, ce genre d’épreuves permet de s’échauffer pour la saison qui démarre au mois d’avril pour prendre fin en octobre, alors c’est ma revanche. Je pars après ma matinée allongée de trois cafés et de beaucoup de lectures, nous prenons mon vélo et moi-même la direction de la piscine, c’est le trajet du boulot et celui de la piscine Molitor alors je peux rouler les yeux fermés et continuer à fredonner les chants pour être vraiment prête. Ma vague de départ est prévue à 14h50, c’est Wippy qui m’accueille dans sa tenue d’arbitre, on se tombe dans les bras, elle fait partie du club des expaTRIés et ne manque jamais de me féliciter quand je passe une étape dans mon apprentissage des différentes distances de triathlon, elle ne s’attendait pas du tout à me voir sur le petit format et sa joie me réchauffe le cœur direct. Je pars donc dans l’avant-dernière vague, nous ne sommes plus que deux femmes et les meilleurs nageurs masculins, l’autre fille est jeune et concentrée, quand nous partons dans la même ligne elle me devance de deux mètres en une seconde, pire elle me redouble tout à la fin. On m’a mise dans la même ligne que la championne de la journée et je ne panique plus, j’entends le speakeur annoncer à la sortie de l’eau de cette dernière qu’elle prend la première place des féminines et je ne panique toujours pas, en septembre 2020 si, j’avais fini à la brasse, voilà je suis une vraie vétérane, je laisse filer devant moi les petites jeunes pleines d’avenir. Quand je monte sur le vélo, Wippy vient m’encourager parce qu’elle sait qu’une nageuse hors pair dans la même ligne peut vite saper le moral d’une concurrente, mais je lui souris et je lui dis que je suis là pour me faire plaisir, elle me prend en photo et doit se dire, celle-là alors, zarb. J’entends à nouveau le speaker donner la distance qu’il reste à parcourir sur nos vélo d’appartement alignés au bord du bassin et je me dis que je ne suis pas si mauvaise, j’accélère. La championne junior descend de vélo la toute première, c’est- à dire qu’elle laisse les quatre mecs derrière elle et là je me dis, bravo madame je suis bien fière d’avoir nagé dans ta ligne, peu de temps après je descends moi-même de vélo, je me mets à courir, un concurrent marche. Le Super Sprint est un format très spécial, tout est intense et le vélo laisse les jambes en béton. Peu m’importe, j’ai la montagne bourbonnaise de Vichy derrière moi et je veux finir cette belle saison de la meilleure manière possible alors cette série d’escaliers qui mène de la piscine vers la partie course à pied, je l’escalade littéralement, plantant un concurrent sur place qui souffre. C’est la pire partie course à pied de tous les triathlons et pourtant la distance est courte mais pour l’avoir courue déjà il y a deux ans, il s’agit d’une série de virages en épingle avec des reprises difficiles car en plein sable et sans possibilité jamais d’accélérer sur plus de cent mètres, je me souviens d’avoir suffoqué la dernière fois, Wippy me dit que j’ai un bon rythme, yeeha. Cinq boucles de cinq cent mètres, c’est vraiment le parcours le plus absurde de toute la terre. Devant moi, j’aperçois d’un coup la championne junior de la journée et j’entends les bénévoles l’encourager parce qu’elle n’a plus qu’une boucle à courir pour franchir la ligne d’arrivée, mince mes calculs sont donc faux il doit m’en rester encore deux et non pas une seule moi aussi mais pas du tout, les bénévoles me font la même annonce quelques secondes plus tard, my god. J’accélère parce que je le vois en me rapprochant d’elle, ma foulée est plus longue et plus rapide que la sienne, elle a excellé en natation et s’est super bien débrouillée sur le vélo mais voilà, place à l’ancienne génération gamine, j’ai un cœur qui peut t’accueillir toi et toute ta famille, nous voilà au même niveau à la sortie du petit parc jouxtant la piscine, je la double sur la ligne et je me mets à sprinter pour être certaine qu’elle ne me rattrapera pas, je fonce, je vole, j’y suis. Wippy m’attend sur la ligne d’arrivée les yeux fous de joie, entre anciennes, battre une jeune… Mais je n’ai pas les résultats de la journée et surtout j’ai un timing très serré à tenir pour arriver à 18h au Palais de Tokyo pour notre mise en place avant le spectacle qui sert de clôture au festival, je dois rentrer et me doucher, m’habiller et me maquiller, trouver l’entrée et les autres. Madame la Maire du 8e arrondissement vient d’arriver à la piscine et nous fait un discours orienté vers les Jeux Olympiques de 2024, il est 16h passés et je vais devoir partir très vite, heureusement la remise des médailles démarre par les vétérans femmes et je suis médaille d’or. Une médaille Poilâne, ma préférée parce que je peux la manger, ah si tout pouvait se manger ! Je reprends mon vélo et nous filons lui à la cave et moi me doucher avec masque pour les cheveux parce que je veux que tout soit parfait pour cette journée très, vraiment très spéciale. J’arrive devant le Palais de Tokyo peu avant 18h et je reconnais de loin quelques Gamme’elles, nous prenons des photos devant les affiches placardées partout dans le métro, on lit notre nom. Dress code oblige, je suis tout en noir, maquillage inclus et je trouve mes choristes toutes sublimes, l’excitation se lit dans nos regards et l’échange de banalités qui n’en sont pas en fait, nous allons chanter au Palais de Tokyo, nous y sommes oui, c’est le grand jour, dingue dingue. Nous entrons dans le musée peu avant 18h30, presque comme prévu, toutes munies d’un bracelet rose qui nous donne l’accès à l’événement et aux coulisses de ce lieu que j’aime tant, parce qu’à chaque performance que j’ai pu voir ici, j’ai gardé des souvenirs très forts, inspirants, notamment un pantin qui se frappait la tête contre le mur, un bruit qui ne vous quitte plus après. Notre cheffe Olivia est habillée avec élégance, une robe de bal et cette étincelle dans les yeux, elle nous propose un échauffement dans une salle complètement folle avec terrasse et vue sur la tour Eiffel, de notre place la tour peut nous entendre c’est certain et nous pouvons la toucher. Pendant l’échauffement, d’autres associations s’approprient le lieu pour notre plus grande joie, des cheerleaders, des danseuses classiques et modernes, des gymnastes et des musiciens fous, nous les admirons effectuer des échauffements en mode écart facial et ils nous écoutent en souriant puisque les paroles de Madame parlent forcément à toute femme, nous nous entendons. Il est 19h27 quand une jeune femme à l’oreillette et programmation sur un bloc-notes nous demande de la suivre, tout le monde nous regarde partir et nous dit le mot qu’on dit juste avant, je la suis et je me retourne, qu’elles sont belles mes Gamme’elles, mais que je suis fière d’avoir été élue une année supplémentaire présidente de cette association qui fait battre nos cœurs. Voilà, la scène se dévoile à nous et le public est déjà présent partout, nous sommes installées sur la scène, face au public je ne vous apprends rien sauf que le public est vraiment partout, c’est fou tout est fou et nous restons plantées devant un public tout aussi fou, où est l’étincelle. L’idée de ce spectacle rappelons-le, c’est l’interaction entre les corps et la magie de la musique et du spectacle, il n’y a eu aucune répétition générale entre nous, nous ne savons rien de rien. D’un coup, la batucada que nous entendions en arrière-plan depuis notre arrivée prend une ampleur croissante, un crescendo qui me prend au ventre parce qu’elle s’approche rapidement, et une troupe de jeunes danseuses en tutu blanc s’exécute devant nous, la batucada cesse et Olivia nous donne le départ, nous chantons l’Estaca dans une fièvre partagée, devant nous les danseuses sont vite rejointes par des danseurs modernes en gris, les méchants parce qu’ils cherchent à corrompre le ballet initié sous nos yeux, je sais qu’il me faut rester concentrée sur la cheffe mais c’est fou ce qu’il se passe, bientôt une troupe de danseuses débarque en culottes et brassières noires, nous chantons Madame, leurs mouvements sont désinvoltes, provoquants. Nous chantons Les Sauvages de Rameau et une équipe de rollers blade vient prendre possession de la scène, des danseurs acrobates risquent leur vie dans des cabrioles au-dessus du vide, je suis hypnotisée tous les sens en éveil quand j’entends les applaudissements du public pour nous.

2 réflexions sur “Vichy #18

Laisser un commentaire