Un, deux, trois… plus personne ne sort. On ne bouge pas, rien ne va plus, panique générale. Où étiez-vous en ce tout début de printemps 2020 alors que la saison semblait prometteuse et de nombreux engagements pris pour sortir profiter de la vie là maintenant tout de suite. Après, il est toujours trop tard. Aujourd’hui, après n’existe plus sinon sous forme de probabilités. Avec qui étiez-vous en ce tout début de printemps. Oui, à l’époque où tout s’est soudain figé. Ne bougez pas, mains en l’air, on ne fait plus un mouvement. Chacun arrête son occupation et regarde autour de soi où il se trouve et avec qui, c’est fait ? Voilà, et maintenant vous y restez. Oui, dans cet ici qui paraissait si passager, comme n’importe quel instant l’était jusqu’alors, alors qu’à présent l’ici est devenu la condition humaine de ce printemps, toujours le même. L’interminable printemps qui n’était pas même advenu qu’on parlait déjà d’annuler tout l’été, plus de canicule au programme, pas de départ en vacances, ni d’examens ou bien de festivals, le monde entier s’était mis à retenir son souffle pour ne pas éparpiller de trop ses postillons. Soleil ! Et la question se pose si, à ce moment précis où le virus nous a surpris dans nos activités habituelles et nous a rattrapé dans un quotidien qui nous semblait pouvoir durer, oui la question s’est peut-être posée alors de savoir si chacun de nous se trouvait à la bonne place. C’est ainsi que je me suis retrouvée plus vite que prévu à partager une vie confinée à deux. J’ai trouvé ma boucle de sept kilomètres dans ma nouvelle zone de confinement, ce quartier qui m’est devenu familier, et je l’ai répétée chaque fois que j’avais besoin de réciter cet air, d’abord la montée jusqu’à un kilomètre puis la descente jusqu’à la route départementale qui, dans un autre contexte, me permettrait de regagner Paris à vélo, puis la remontée vers la gare, et enfin le détour par les coteaux pour récupérer l’étang dans la boucle et rentrer, droit devant. La montée, la descente, les ronds-points vers la gare, les coteaux confinés, puis la ligne droite. Comme si cette série pouvait me révéler une évidence sur ma relation au monde, la place à prendre ici-bas et maintenant, ou sur ma relation tout court, un circuit dont la logique éclaterait avec une vérité au bout pour y voir un peu plus clair sur ce qu’il se passe au fond. Pourquoi maintenant. Parce qu’il est déjà trop tard et qu’on se met déjà à courir après l’après, et pourquoi ici sinon qu’il n’y a pas à aller voir ailleurs, la fuite n’est plus à l’ordre du jour, mais l’engagement, l’investissement plein et entier pour préserver les liens, la vie, notre Terre. Et je continue à courir après ma suite logique, je la reconnais tant, je la connais par cœur, d’abord la montée en intensité puis la descente, autrement je frôle l’arrêt cardiaque, souvent, puis les circonvolutions et autres prises de tête, j’ai l’impression de tourner en rond sans avancer alors qu’en vérité le lien se crée et se nourrit, de mes inquiétudes aussi, la gare approche qui représente le moment où je lâche prise, la découverte de ma dernière décennie. Alors je me pose, mes inquiétudes sont toujours là et je fais avec, je peux admirer le paysage, regarder en arrière l’histoire qui s’écrit et surtout voir devant le chemin qu’il reste à faire, parfois j’accélère et alors ce second souffle me porte avec enthousiasme comme au départ. C’est déjà l’arrivée et je suis exténuée, la dernière ligne droite m’a permis de tout donner. J’aimerais être celle qui est capable de tout donner, à chaque instant et pour tout le monde, j’aimerais emporter le monde entier dans ma course et ce tracé dont je cherche encore le sens. Le tracé me suffit, c’est tout. Il n’y a pas à chercher plus loin, je peux le répéter autant de fois que je veux, six fois si l’envie m’en prend pour parvenir à la distance d’un marathon, j’y trouverai chaque fois mon bonheur comme dans chaque satisfaction de ce nouveau quotidien. Et les chats sont repartis. Aussi précipitamment qu’ils avaient déboulé dans l’appartement avec l’installation d’un arbre à chat et d’une litière, ils ont repris leurs affaires et ont disparu. Après avoir exploité le moindre recoin de l’appartement à la recherche de refuge où se cacher pour se préserver du tumulte aussi local soit-il, ils ont décidé de retourner chez eux se reposer, et je me retrouve dans cet appartement que je croyais connaître déjà, avec ces mille et unes cachettes auxquelles je n’aurais jamais pensé, comme on découvre chaque jour une nouvelle facette de la personne avec qui on vit. Le bac à petites culottes qui chatouillent les moustaches, le meuble à chaussures pour voir sans être vu. Cette nuit, elle a rêvé d’un chat.

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