Après plusieurs semaines d’exil loin du stade, je suis allée consultée une ostéopathe. Elle m’a dit que ce n’était pas inquiétant. Je continuais à marcher, j’avais mal, sans savoir où. « Ce n’est pas inquiétant », me dit-elle. Je l’écoute et pourtant il me semble ne pas avoir entendu cette sentence, précise et succincte, à laquelle je ne m’attendais pas. Trop précise, trop succincte, comme si aucun doute n’était permis quant à ma prochaine totale convalescence. De fait, alors qu’elle me manipule au niveau du muscle ischio-jambier pour vérifier l’amplitude des mouvements, je ne ressens aucune douleur nette, pas non plus cet effet de lance qui vous transperce tous les tissus et vous laisse figé sur place comme sous l’effet de la foudre, c’est ainsi que j’ai résumé le ressenti de la blessure au matin de ma dernière sortie. Persuadée que la douleur allait passer toute seule, j’ai laissé passer un mois en continuant à marcher, je me retrouvée parfois clouée sur le trottoir d’un coup par une lance transperçante. Contrairement à ce que j’avais prévu, ça ne passait pas tout seul, il me fallait consulter un avis. Et le diagnostic de l’ostéopathe m’a paru aussi désarçonnant que l’effet de l’arme magique me semblait transpercer la moindre fibre de mon corps lorsque j’avais marché malgré la douleur. Je me trouvais allongée sur la table d’examen, sans pour autant être certaine d’avoir été examinée réellement, de fait mon air étonné et ma réaction enthousiaste, stupéfaite, ont surpris en retour l’expert en art de la manipulation ès tensions, la spécialiste des déséquilibres. Elle a du se sentir obligée de confirmer son affirmation en prenant son air le plus assuré pour m’indiquer qu’il fallait prévoir huit jours en tout et pour tout jusqu’à mon rétablissement définitif. Un enfant m’aurait dit que j’allais me remettre de ma blessure comme par magie, sans doute ne l’aurais-je pas moins crédité de confiance. Huit jours, autant parler de miracle. Selon elle donc, à moi le pavé, la rue, les passages piétons et les priorités, le tintamarre de la ville et son ballet quotidien des plus silencieux, le droit d’être un piéton comme n’importe quel autre bipède, la chance d’être cet individu unique dans la foule sourde des pas anonymes. Je pouvais à nouveau presser le pas, en théorie. Ainsi, les autres piétons n’avaient plus qu’à bien se tenir, qui devaient comploter dans mon dos et se moquer de mon état inconsolable, j’étais sur le retour, prête à en découdre avec le premier venu, qu’il sorte du métro, du bus, de chez lui, pourvu seulement que je continue à participer à la chorégraphie piétonne collective. En partant, j’ai fini par dévoiler à la manipulatrice l’hypothèse que j’avais pu aussi envisager, à savoir l’option de l’ablation du fessier gauche. A son tour de me regarder les yeux écarquillés par mon histoire. J’ai quitté son cabinet en lui serrant la main, je rongeais mon frein. J’ai su huit mois plus tard que je souffrais d’une fracture de fatigue au niveau du bassin.

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