La grande magicienne a fini par lâcher la boîte que j’avais saisie des deux mains, comme elle. Je suis partie sans qu’elle m’embrasse, elle m’a suivie des yeux sans que je me retourne. L’attente allait être longue avant la prochaine fois, j’ai mis du temps à m’endormir. Nous étions reparties chacune de notre côté, en nous tournant le dos, comme sur la photo. L’empathie est la notion qui, parmi les trois qui définiraient les critères de l’amour parfait, m’interroge davantage, tout autant que ma capacité à la télépathie. J’aurais donné cher ce soir pour être dans la tête de la grande magicienne et y lire ses sentiments comme dans un livre ouvert. Je passai une grande partie de la nuit à déchiffrer les signes d’une attirance éventuelle, d’un possible intérêt de sa part pour ma personne.
Une chose était certaine, elle occupait toutes mes pensées et mes rêves étaient remplis d’elle. Une autre chose était de savoir comment permettre à ce moment d’acmé qu’était chaque nouveau rendez-vous avec elle de durer et d’être prolongé par des échanges toujours plus intenses entre nous, sans risquer la déception, l’ennui ou les malentendus. Je me donnais l’impression de brûler d’un désir profond au point d’en brûler aussi les étapes de la rencontre, car rencontre il y avait bel et bien. Qu’en était-il pour elle ? Dieu seul savait, encore lui. Depuis quand avais-je conscience d’approfondir les affinités naissantes plus qu’il ne l’aurait fallu avec quelqu’un qui n’aurait pas partagé l’envie de faire plus ample connaissance ? Avais-je déjà franchi la frontière des convenances ?
Je redoutais déjà l’idée de n’être qu’une étoile filante, visible le temps de son apparition, c’est- à dire une seconde tout au plus, avant de disparaître aussi sec, pour le reste de l’éternité et parce que je n’aurais pas suffisamment brillé à ses yeux. J’aspirais davantage au destin d’une comète dépoussiérée et réchauffée loin des fluides glacials des temps anciens, en pleine tentative d’approche de son étoile, fascinée par son scintillement et gonflée dans sa course par l’enthousiasme et la perspective d’être plus proche chaque jour un peu plus encore du cœur de l’étoile et de la source de la chaleur, et d’en ressentir les bienfaits depuis très longtemps déjà, de très loin pourtant. Depuis que ma trajectoire s’assimilait à une gravitation autour d’elle, c’est comme si la meilleure part de moi m’était révélée.
Il ne me restait plus qu’à sortir du confort de mon orbite, lieu d’observation en douce de mon étoile, pour oser l’intimité et le dévoilement. Les échanges que j’initiais entre chaque rencontre me donnaient l’occasion d’aller un peu plus loin toujours dans le partage et la connivence, je me sentais en confiance fatale, loin de tout jugement et je me rendais compte que ce sentiment d’évidence et le naturel de la complicité s’étaient installés vite entre nous. Une accélération, une dernière, la plus longue, et je me voyais sortir de ma course dans un élan fou pour enfin tomber dans ses bras, littéralement.