Samedi, 11:45. Petite Jupe cherche son Jules sur la place. Lorsque celui-ci arrive au rendez-vous, en la personne de mon jean, elle est surprise de voir mon cœur faire un bond jusqu’au ciel pour revenir se loger dans la poche arrière du jean. Devant la mairie du 18e, un mariage est célébré, des petits cœurs en papier sont envoyés en l’air pour fêter les jeunes époux, sans doute a-t-il voulu se mêler au chœur des cœurs pour que le destin lui soit favorable. Toujours est-il que Jolie Jupe est au rendez-vous. Elle est surprise par l’accueil, l’enthousiasme, l’élan chaleureux de l’accolade. Elle sait que Jules n’aime pas les accolades. Là, ça n’a rien à voir, Jules veut serrer Petite Jupe aussi fort dans ses bras que possible, de toutes ses forces, il ne sait pas pourquoi, mais c’est très important là maintenant, tout de suite. Durant les derniers jours, les échanges ont été plutôt rudes, le ton est monté parce que Jules ne supporte pas qu’il puisse exister un autre Jim que lui, il veut être la douceur et la force, l’âme sœur et l’amant, le confident et la sensualité, tout ça et tellement plus à la fois. A plusieurs reprises, Jules a jugé qu’il valait mieux pour lui mettre fin à cette relation où il ne parvenait pas à trouver sa place, puisque Petite Jupe était en couple et le répétait maintenant à longueur de retrouvailles. Non, il n’avait pas sa place dans cette culpabilité et ces remontrances à tout va. Et pourtant, il restait dans la relation, incapable de prendre la décision d’en sortir, parce qu’elle le faisait vibrer et que cela importait davantage, c’était même plus important que n’importe quoi. C’est pour ça qu’il la serrait aussi fort à présent contre lui, pour qu’elle ne lui échappe plus, surtout pas. Petite Jupe est surprise par l’intensité de l’étreinte donc – car l’intention de cette accolade est tout sauf amicale et elle peut le sentir physiquement, au contact de Jules -, elle ne savait pas à quoi s’attendre pour dire la vérité, elle appréhendait ces retrouvailles car retrouvailles après deux jours sans se voir il y avait bel et bien, et rien là-dedans n’était évident. Plus rien n’avait été simple à partir du moment où, en plus de répondre aux attentes de Jules, elle avait dû gérer à nouveau le quotidien de son couple fragilisé par la nouvelle relation de son côté et dont elle ne connaissait pas encore la nature. Tout avait pris des proportions improbables et trop préoccupantes pour une si Petite Jupe. A l’origine, elle n’avait voulu que voir Jules, rien de plus. Elle ne s’attendait pas à ce qu’il montre autant d’intérêt pour sa petite personne, ça ne faisait pas partie du plan et ce n’était en aucun cas autorisé par les règles mises en place dans le cadre de sa relation de longue durée. Il eut fallu en débattre d’abord, à présent elle devait se battre pour garder l’une et l’autre relation, cela lui coûtait énormément, elle risquait d’y laisser sa santé, son moral et les deux relations, coup sur coup. Petite Jupe se sent perdue et à fleur de tissu, elle a besoin d’affection, pas de reproches.
Petite Jupe et Jules partent chanter. Ils ont prévu de chanter tout l’après-midi, pendant quatre heures. Cela fait quatre semaines qu’ils se connaissent, mais le temps a filé plus rapidement qu’en l’espace d’une saison entière. C’était l’automne, sans en faire la saison de la transition par excellence, Jolie Jupe se sentait parfois pousser les ailes tel un oiseau migrateur, motivée par l’envie de connaître de nouveaux espaces et de s’enrichir à travers de belles rencontres. Mais pas cet automne. Moins que jamais, Petite Jupe n’avait envie de s’envoler, en tout cas, pas loin de son quartier, pas encore. Plus qu’auparavant au contraire, elle désirait se poser, profiter, ne rien faire d’autre que savourer sans contrainte d’aucune sorte, ni départ ou délai. Seulement voilà, les choses n’étaient pas aussi simples qu’il y paraissait, car si Jules pouvait se régaler pendant les quatre heures à venir de la présence de Petite Jupe à ses côtés, cette dernière ne pouvait se détendre pleinement tant qu’elle sentait les attentes de Jules planer comme une fuite vers l’instant d’après d’un côté, tandis que de l’autre côté elle se sentait rappelée à son engagement dans ce repère qu’est son couple. Elle pensait l’un et l’autre compatibles, au moins à court terme, en fait elle n’avait jamais envisagé de long terme à ce genre de relation passagère, ni de moyen non plus pour faire durer plus sérieusement les échanges. Et ce n’est pas une séance de quatre heures de chant qui pourrait changer quoi que ce soit, songeait Petite Jupe devant elle en vérifiant son aspect dans le reflet de la fenêtre du métro. Elle avait l’air fatigué, Jules avait beau la complimenter sur sa gestuelle et son attitude, sur à peu près tout et n’importe quoi, elle se savait épuisée par sa semaine d’affrontements. Elle savait aussi que chanter lui ferait du bien. Ne plus penser à rien, se concentrer sur la voix, le son, sur la voix des autres aussi un peu, et sur le son collectif. Se perdre dans les autres, la voilà la solution tout de suite. S’oublier, oublier la présence de Jules, oppressante. Et en même temps qu’elle pense ça, Petite Jupe se rappelle qu’elle a accepté de participer à cet atelier chant pour lui faire plaisir, et non parce qu’elle avait envie de passer son après-midi à chanter. Elle a accepté l’atelier et le concert, les sorties ciné et course à pied parce que c’était l’occasion de voir Jules, elle a même du braver les remontrances de sa partenaire pour le rejoindre au Café de la Danse. Elle est arrivée stressée et en panique, parce qu’elle savait que sa décision aurait des conséquences et qu’il faudrait négocier à nouveau, l’ouverture du couple et les limites de celle-ci. Ce n’est pas que les fréquentations de Petite Jupe ne plaisent pas à l’autre, c’est leur fréquence qui semble poser problème. Et Petite Jupe se soumet aux indications, elle se plie aux règles à la virgule près, elle intègre la charte tacite non pas pour faire plaisir ou parce qu’elle adhère en tout point à la justesse des préceptes, mais purement par loyauté, par loyauté au couple.
Jules ne sait pas tout ça. La culpabilité et le doute, les reproches. Elle essaie de ne pas en parler, pour ne pas augmenter la tension en la nommant, pour ne pas gâcher le moment non plus, autant que faire se peut. Pour se montrer sous son meilleur jour, Petite Jupe se fait jolie et Jules défaille. C’est facile, si facile qu’elle finit par ne pas le prendre au sérieux ce Jules qu’une simple petite jupe fait trémousser à ses pieds. Des jupes, il en court de toutes sortes et plein les rues, au carrefour il croisera la prochaine et c’en sera fini des sorties, de la course et du chant. Et en même temps qu’elle pense ça, encore une fois elle se rappelle la première fois au restaurant, le désir dans son regard, et au café parmi tous les autres qui n’existent plus la tension sexuelle, et puis dans la rue en raccompagnant J. la complicité et les échanges de regard, ou encore le dimanche matin, les discussions décousues et l’éclosion de quelque chose de plus fort qu’une simple attirance.
Un charme, une folie.
Jules veut me voir, Jules veut m’avoir.
Jules m’aura, ou de ne pas m’avoir eue, il en mourra. C’est tout vu.