Pour le dire vite, elle m’insuffle une énergie folle, un souffle de vie comme savent le prodiguer les grands magiciens, parce qu’au moment où je l’ai rencontrée on m’enterrait. Quand je dis « on », je m’inclue dans la masse devenue indistincte à force de vouloir l’éviter, en proie à une léthargie telle qu’autour de moi les jours passaient comme les gens qui se poussent, sans délicatesse aucune ni conviction, puisqu’à la fin le temps nous dépassera tous. Je me retrouve loin derrière moi, aspirée par le tourbillon et sans pouvoir m’échapper, je lâche prise et laisse d’autres que moi prendre la place, au risque de gêner au passage je reste sage. Un visage me sourit. Je le reconnais. C’est à moi qu’on sourit ? Elle m’a vue, je vais la voir. Voilà que je la salue, j’aurais pu ne pas, vu qu’elle est en sueur après une heure à maîtriser son art et le pousser à la perfection. Car c’est une grande magicienne, vous l’ai-je déjà dit ? Me voici donc devant elle, et non plus loin derrière moi, soudainement poussée par un élan, une envie, je fais face et à sa surprise, je lui fais la bise, « bises mouillées » me répond-elle. Elle a dit « bises mouillées » ? Je ne sais plus, ses joues sont creusées et ses yeux bleus. Jusqu’ici je ne l’avais pas remarqué, maintenant je ne vois plus que cela, hantée à cet instant par la vision de son visage d’une blancheur candide et éclatante, les cheveux tirés en arrière, laissant apparaître la finesse des traits et aussi une goutte qui perle sur la tempe sans vouloir couler tout de suite, intimidée peut-être par le bleu vif de ce regard posé sur moi, captivée. Sans doute faudrait-il que je dise quelque chose ou que je me contente simplement de partir, cependant la petite goutte de sueur ne veut toujours pas s’éclipser elle non plus, comme si elle cherchait à faire déborder en moi des mots, un émoi, mon envie, c’est la tempête tout de suite. A présent mes pas m’emportent et son regard reste derrière moi. Je m’éloigne, résignée, énergisée. Tout me ramène à elle, depuis les pensées enfouies qu’elle ressuscite du plus profond de mon fort intérieur, et que je pensais imperméables aux assauts de la dure réalité, mais même celle-ci m’enveloppe d’une douceur nouvelle et infinie. Je déroule le fil d’Ariane. Quand je marche, et Dieu sait que je marche, je m’imagine marcher avec elle et si je cours, c’est vers elle. Je me surprends à poursuivre nos conversations au point où nous les aurions laissées la veille, si nous avions passé la soirée ensemble, pour une raison qui m’eut échappée. Je traque le moindre souvenir des moments partagés, de rares les voilà devenus très précieux, par exemple ce soir où les convives se sont attardés dehors, je ne la connais pas et pourtant c’est déjà elle, je trafique la tige de fleurs un peu fatiguées, elle m’appelle « Madame Rose ». Ce sourire. Je l’observe de loin, de très loin, comme si trois continents nous séparaient, puisqu’il n’y a aucune raison pour moi de l’approcher. Ce serait même pure folie de l’attendre alors qu’elle n’est pas là. Pourtant je l’entends, la mélodie si familière qui me dit « viens », et je la suis. La voilà, comme par miracle, je vous l’avais bien dit, c’est une grande magicienne.

2 réflexions sur “La poésie des petits pas #20

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