Je ne sais pas pourquoi j’ai raconté ça à la voisine, que j’étais très tendue cette année. Sans doute j’ai cherché, en suscitant son éventuelle empathie pour les expériences que j’ai vécu et dont je pense qu’elle aurait pu vivre les mêmes, à me rendre sympathique et me rapprocher d’elle, à moins que je ne sois en quête de d’écoute comme n’importe qui ici-bas. Toujours est-il que j’ai ressenti le besoin de décliner mon année en racontant les différentes étapes qui ont tour à tour permis de nourrir tant d’espoir dans ma relation avec la randonneuse, dans la randonnée tout court, dans cette forme de lenteur qui apaise l’âme aussi. Tout allait trop vite jusqu’alors, les événements s’enchaînaient, me laissant choir chaque fois. Je me suis blessée un 17 mars cette année là pour avoir trop forcé, une fracture de fatigue assez révélatrice alors que ma relation avec la végétarienne pingre s’enlisait depuis le début d’année. Dix jours après l’attentat, le 17 janvier, j’ai fini de vider le tiers de mon appartement et de repeindre celui-ci entièrement en blanc, je ne me souviens plus d’avoir pris la décision. Un à un, j’ai vidé mes placards et me suis débarrassée de la moitié de ma bibliothèque, que j’ai démontée planche après planche comme on dépècerait un animal, presque machinalement, j’ai compté 17 types de vis différents. J’ai gardé mes références poétiques et philosophiques, parce que la vie continue malgré tout, même quand on croit qu’on ne pourra pas survivre à ça, on était des millions à ne plus y croire, on est des millions à avoir survécu à l’écœurement. Ensuite, contrairement à mon habitude qui consiste à toujours rester en dehors de tout conflit, je me suis embrouillée avec une choriste de mon pupitre, je ne l’avais pas calculée jusque-là. J’ai appris son nom un dimanche au mois de mai alors qu’elle chantait avec les altos depuis la rentrée. Elle devait me déranger pour que je décide de l’ignorer à ce point, ma randonneuse. Ce jour-là, la chorale donnait un concert au Tango, j’étais d’astreinte au contrôle des entrées. Il a fallu qu’en ce début de soirée, un vigil de l’établissement débarque pour faire régner l’ordre, notamment en décidant que la randonneuse n’avait pas le droit de vérifier si l’une de ses amies avait trouvé le lieu et de voir rapidement si elle attendait devant l’entrée ou non. Avant elle, toutes les autres choristes avaient pu sortir prendre l’air avant de rentrer à nouveau, mais pour la randonneuse s’est appliquée la règle stricte selon laquelle « toute sortie est définitive ». Elle n’a rien voulu entendre et a insisté pour sortir jusqu’à ce que le vigil, transsexuel, la pousse en prétextant à corps et à cris avoir été violenté par la choriste colombienne plus grande que lui d’une tête. Et j’ai eu ce réflexe stupide, humain trop humain, de ne pas vouloir prendre parti pour la choriste par crainte d’être accusée alors de transphobie. Je ne suis pas intervenue, persuadée que la choriste allait lâcher prise face au vigil hystérique, ce qu’elle a fait un peu plus tard, non sans m’en vouloir parce que je ne l’avais pas défendue. Je lui ai écrit le lendemain, un à un elle a démonté tous mes points. Ce fut le début des échanges.

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