Les jours suivants, le soleil n’a cessé d’envoyer des ondes positives venues d’ailleurs. En faisant les courses un soir alors que ma mère n’était pas encore arrivée au foyer, je me suis surprise à jeter un cahier d’écolier dans mon panier et à le remplir le soir-même avec frénésie, jusqu’à ce que la terrasse sur laquelle je m’étais installée soit presque plongée dans l’obscurité. Ensuite, je suis tombée sur une bague toute simple alors que je rangeais l’appartement, elle devait avoir appartenu à ma grand-mère, je l’ai machinalement attachée à mon cou avec une chaîne que j’avais laissée dans ma trousse de toilettes. Je n’avais plus porté de bijoux depuis des années, pas plus que je n’avais de ma vie tenu de journal intime, jamais. Ma sœur oui, mais pas moi.
Enfin, nous avons chargé les sacs remplis des vêtements de ma grand-mère dans la voiture pour en faire don. Nous étions occupées à cette tâche qui, je l’avais remarqué en répondant par un sourire entendu à la voisine de chambre de ma grand-mère, intriguait les autres occupants du foyer. Ils se retournaient sur notre passage et y allaient de leurs soupirs, comme à eux-mêmes. Je savais que ma grand-mère ne s’était pas fait d’amis. Lorsque j’ai levé à nouveau les yeux après avoir fermé d’un coup sec le coffre de la voiture, j’étais face à un véritable rassemblement de petites vieilles et de petits vieux qui se donnaient des coups de coude ou se tiraient par la manche en reculant au moment où je les ai remarqués. Nous sommes restées interdites un moment, puis ma mère a réprimé un fou rire que je n’ai pu contenir à mon tour en comprenant à quel point la situation pouvait prêter à confusion si les autres résidents nous dévisageaient comme des truands en train de transporter le cadavre d‘une des leurs, sectionnée et mis dans de vulgaires sacs en plastique pour s’en débarrasser. Nous enterrions ma grand-mère avant l’heure.
Nos éclats de rire ont fait fuir les derniers curieux, incrédules, et nous sommes parties pour aller chercher ma petite sœur qui arrivait par le train. L’enterrement avait lieu le lendemain, j’étais en Allemagne depuis une petite semaine, à naviguer entre Cologne et le foyer dans la banlieue proche de la grande ville.
Il est des villes dans lesquelles les hôtels et la possibilité de passer une nuit sur place ont davantage d’attrait, c’est le cas pour moi de Cologne, plus encore que New York ou Tokyo, Köln. La ville où je me suis perdue à vingt ans et où tout me ramène, comme pour mieux savoir d’où je viens et me rappeler le fond que j’y ai touché. Me réveiller à Köln, jusqu’à aujourd’hui et plus qu’ailleurs dans le monde, c’est avoir la sensation de renaître le matin. Marcher à Köln, c’est sentir chaque pas, même le plus petit, comme un mouvement vers l’intérieur de soi et donc vers les autres aussi, à la découverte de son propre fort et de l’ouverture sur le monde.
Une réflexion sur “La poésie des petits pas #7”