Hier quelqu’un m’a dit que je parlais avec tendresse de mon quartier, celui de Clignancourt, ce hameau où l’on cultivait du vin et qui fut rattaché à la commune de Montmartre en 1860. Tout d’abord, au moment de m’installer, je me suis intéressée à Montmartre, la butte et ses différents recoins et passages secrets, tous les week-end j’arpentais rues et escaliers pour prendre possession de ce côté-là de la Seine après avoir vécu rive gauche, vers Saint-Germain. Au commencement, Paris n’était que Bastille, les Champs-Elysées, un peu Saint-Michel aussi. Puis j’y ai habité, d’abord rive gauche sous les toits, ensuite rive droite pour de bon et j’ai fini par me centrer davantage sur l’évolution de mon quartier sur une décennie, bientôt la deuxième et j’ai vu l’identité de Clignancourt se métamorphoser en s’animant, prendre un peu plus de la rue des Abbesses pour reléguer à la porte de Clignancourt ce qui ne convenait plus. C’est en courant que j’ai pris conscience de la chance d’habiter mon quartier en traçant malgré moi les limites géographiques de mon territoire, d’un côté jusqu’à porte de Saint-Ouen voire porte de Clichy où je change d’arrondissement pour me rapprocher de mon lieu de travail, de l’autre côté jusqu’à porte de La Chapelle et en direction de La Villette, les quais avec ces cinémas et ces cafés, lieux de tous les loisirs et de tous les rendez-vous de mon Paris. Et entre ces deux extrémités, je dessine des tracés en courant d’un stade à l’autre, d’un versant de la butte vers son opposé du côté de Pigalle, j’avale du dénivelé de part et d’autre de la rue Marcadet et de la rue Caulaincourt, je traverse le pont du cimetière, j’enjambe les carrefours. Clignancourt est davantage connu pour sa porte, l’une des 17 qui donnent accès à Paris, anciennement appelée porte Ornano, son nom est en train d’évoluer vers les puces de Saint-Ouen pour lui donner un aspect plus touristique avec l’arrivée notamment du nouveau tram. C’est mon départ à vélo jusqu’à Deuil, chez elle, sur 10km en passant par les puces, les quais de Saint-Denis puis la gare d’Epinay, ce virage qui annonce l’arrivée prochaine à destination. C’est elle qui a rebaptisé mon premier troquet de quartier le Café de la Framboise, alors qu’il s’agit d’un restaurant italien au nom italien, rien à voir avec notre affaire ni avec les identités précédentes de ce lieu qui a gagné au fil des ans en convivialité et en voisins festifs et fidèles. Avec le déconfinement, les terrasses ont fleuri à Clignancourt, elles se rejoignent au carré Versigny où trois cafés mettent en commun leur espace pour créer une jolie place de village. Je l’ai emmenée à la terrasse de la crêperie où j’aime retourner le soir avant de rentrer chez moi, c’est encore à elle que je pense en découvrant la boulangerie nouvellement ouverte et illuminée comme les devantures dans le port de Tinos aux alentours de minuit, je pense à tous ces lieux que nous n’avons pas encore visités ensemble, à tous ceux où elle a laissé son souvenir et où s’est écrit déjà une petite partie de notre histoire comme ici, dans mon quartier de Clignancourt, qui tarde encore à s’endormir alors que je passe devant la terrasse de son café où une petite table n’attend que nous.