C’était à l’époque où par orgueil, je ne m’intéressais pas à ceux qui venaient vers moi, leur préférant celles auprès de qui j’avais retenu si peu d’attention qu’il allait me falloir des trésors d’artifice pour imposer un lien tout sauf évident et le cultiver sur des terres hostiles. Loin de me décourager, ce labeur mobilisait toutes les ressources créative dont je ne disposais pas alors, non pas que cela ait tellement évolué mais j’ai appris depuis certains tours de magie pour au moins dissimuler mon décontenancement face à l’indifférence que je pouvais lire chez l’autre alors que je venais d’agiter les bras comme un gamin qui voudrait qu’on joue avec lui et finit par abandonner parce que ce n’était pas le bon moment du tout pour déranger. Sauf qu’un gamin ne put pas savoir que le bon moment n’existe pas, ou dans un moment de grâce que l’on pourrait attendre toute une vie, je préférais tout faire pour le provoquer auprès de personnes dont je me doutais qu’elles n’étaient pas les bonnes et au moyen d’arguments dont, je le répète, je n’avais ni la maîtrise ni assez d’aplomb pour les imposer malgré tout. C’est donc avec moi-même que je finissais par passer la plus grande partie de mon temps, occupée à m’interroger sur le secret à découvrir pour pouvoir aller vers l’autre et le captiver, j’étais moi-même facilement intriguée par les personnes dont j’entendais parler par un tiers, comme cette fois chez Emma, mon amie à l’origine du miracle opéré à son initiative lorsqu’elle avait entrepris de me redonner apparence humaine en me débarrassant de ma tignasse sauvage pour me laisser face au miroir avec une coupe court et un visage avenant. Plus elle avançait dans son idée, tout en menant tambour battant notre discussion sur une connaissance en commun, plus je voyais les mèches s’étaler par terre et mes propres traits devenir familiers à nouveau, comme le parfum oublié d’une glace qui revient en bouche avec ce qu’il rappelle d’estival et léger parce que ce parfum n’existerait que le temps d’une saison. De la même manière, la coupe d’Emma sonnait le retour à une forme de légèreté liée à la jeunesse ou à l’audace, un vent de renouveau et d’émancipation montait en moi à chaque coup de ciseau et le sourire de mon amie en écho au mien me redonnait espoir sans que me sois aperçue que je l’avais perdu cet espoir qui m’enflammait pour un rien, pour tout, comme ça. Nous continuions à discuter comme si de rien n’était, nous parlions toujours de cette connaissance que nous avions en commun et dont elle me donnait des nouvelles depuis la dernière soirée que nous avions passées ensemble et où je l’avais d’ailleurs croisée pour la première fois, elle m’avait parlé d’une personne qui se trouvait habiter dans la même rue que moi et avec qui, selon elle qui venait de faire ma connaissance à peine une heure plus tôt, je devrais m’entendre vraiment très bien. J’ai laissé couler la coïncidence, mais pas longtemps.

2 réflexions sur “Trois éternités #1

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