Quarantième jour de confinement et la quarantaine ne fait pourtant que se poursuivre, c’est même le tour du virus en quatre-vingt jours qui est prévu avant de revenir au point de départ. Le même point de départ, latitude et longitude identiques, mais dans un tout nouveau monde. Non pas que le monde que nous quittons était fait de plaisirs uniquement, mais celui dont nous héritons à présent nous apprend à vivre avec une série de contraintes supplémentaires pour survivre à nos consommations excessives. Le principe du plaisir, la notion de contrainte. La contrainte principale étant de rester confinés, le premier plaisir pourrait consister à s’évader autrement qu’en sortant, être dans un ailleurs imaginé plus ouvert et différent encore qu’en temps ordinaire, imaginé par un désir fou, inouï de grands espaces à échelle nouvelle. J’aimerais être un chat pour rester étendue de tout mon long sur le trottoir désormais déserté, seul seigneur de ma rue dont je contrôlerais les passages pour qu’ils ne soient que caresses et les propos simples murmures pour laisser aux oiseaux le temps d’honorer tout leur répertoire. Les rues sont vides au point de me procurer un sentiment d’étrangeté, me voilà projetée dans la quatrième dimension, un événement s’est produit dont je n’ai pas été informée, or je me rends bien compte à mesure que je progresse qu’il s’est passé quelque chose, rien n’est pareil. « Vous ouvrez cette porte avec la clé de l’imagination. Au-delà, il existe une autre dimension. Une dimension du son, une dimension visuelle, une dimension intellectuelle. Vous découvrez un univers où se confondent illusion et réalité. Vous venez d’entrer dans la Quatrième dimension. » J’adorais cette accroche lorsque je regardais les épisodes de la vieille série US. La réalité a basculé en noir et blanc, les couleurs printanières ne sont pas exploitables comme elles pouvaient l’être dans le passé, le bleu turquoise de l’eau n’est plus qu’une illusion, de même que le vert luxueux du gazon dans lequel je ne suis pas invitée à m’allonger, toute cette réalité ne l’est plus tout à fait, la réalité a rejoint l’illusion pour le moment. Elle est l’ailleurs. Le printemps est là, à plus d’un clic cette année, il s’ouvre à nous par la fenêtre et non plus à travers une longue promenade, ce n’est plus l’éveil des sens mais bien celui de l’imaginaire. Dans cet ailleurs, je m’imaginerais être un chat, une abeille butineuse ou un cachalot solitaire. Pour mieux revenir à l’ici et maintenant, multiplier les saveurs pour déconfiner tous les sens, par exemple en invitant le reste du monde dans mon assiette grâce à quelques recettes auxquelles je songe comme des billets aller, au détour d’un chant d’oiseau que j’écoute enfin. Mes souvenirs n’ont jamais été aussi précieux, ils me permettent de convoquer des personnes, comme pour déconfiner les absents de mon esprit, ils remontent à la surface d’un seul coup. On met de l’ordre au présent en retenant son souffle pour qu’advienne un avenir à peu près possible et pas trop précaire en laissant au passé une vision des choses en tout noir, tout blanc. Trouver un nouvel équilibre, le fameux second souffle, et un peu de plaisir dans la contrainte.