C’est comme de s’engager dans un marathon, si on ne visualise pas la ligne d’arrivée dès le départ, c’est foutu ; ou plutôt, le risque est grand de se décourager plus vite que prévu et de n’arriver jamais, par manque de souffle et de motivation, au bout de la course tant préparée. Depuis le début de la crise sanitaire, il avait été question que nous vivions ensemble pour ne pas subir de séparation pendant la période de confinement, dont personne ne savait combien de temps elle allait durer, seule certitude pour nous l’éloignement ne jouerait pas en notre faveur. Il fallait que je trouve une solution pour laisser les chats et pouvoir travailler chez elle, abandonner mes habitudes de solitude et envisager la vie en couple comme l’occasion à saisir. Je visualisais parfaitement la grande table dans le salon, partagée entre la préparation de ses cours et mes appels entrants, nos anecdotes pauses et repas, la troisième mi-temps et le début d’une nouvelle page de notre histoire, écrite plus vite que prévue et après tout, pourquoi pas. A l’arrivée, on sortirait plus proches et intimes que jamais de cette période de confinement. Restait plus qu’à prendre le départ, régler deux trois choses pour rejoindre la ligne comme on vérifie ses lacets avant de s’élancer dans la course, seulement une chose en entraînant une autre je me suis retrouvée à finaliser plutôt quatre ou cinq choses, histoire d’être sûre de moi. Tout d’abord, je me suis occupée de la connexion à distance sur l’ordinateur, bien sûr ce soir-là pas moyen de trouver la clé pour me connecter de chez moi, devrais-je y voir un signe ? C’est ailleurs que chez moi que je dois trouver la connexion, et pourtant j’y suis toujours, comme des millions d’autres individus confinés chez eux, aux aguets de la moindre évolution concernant l’épidémie, de la plus petite information qui donnerait un semblant de visibilité sur le délai prévu de la crise, avec son avant qui me paraît déjà loin et son après, cette inquiétude. Et comme des millions d’autres individus confinés chez eux, j’ai rempli mes placards pour tenir bon et sortir le moins possible, la culpabilité grandit main dans la main avec l’inquiétude et je limite mes sorties pour ne courir qu’autour de chez moi, un petit tracé en forme de cœur. Seuls mes chats ne semblent pas trouver insolite la situation, habitués au confinement depuis toujours, ils m’initient malgré eux à une attitude flegmatique et se réjouissent de ma présence. Mes chats, qui vont rester dans ce chez eux qui ne sera pas le mien pendant le confinement. Un confinement loin de ma solitude et de ma rêverie, loin d’eux et de leur soutien affectif et félin, il est là mon point dont je n’aurais pas deviné auparavant qu’il puisse être si bloquant. C’est une part de moi, ma part de sérénité féline, qui devra rester avec eux et j’ai beau m’informer sans interruption, aucune actualité ne peut me donner une estimation sur le délai. A présent, comme des millions d’individus confinés, je quitte ma zone de confort et je me retranche dans une transition entre un avant dont on aurait difficilement envisagé autre chose que l’attente du printemps, la préparation des beaux jours et un après ancré dans un quotidien résolument nouveau, plus constructif et conscient des enjeux que nous connaissions déjà mais sans en avoir pris la mesure vraiment, ni le caractère d’urgence d’une situation sans retour possible. S’ouvre dans ce contexte un nouveau champ des possibles, une autre page à écrire, plus créative et inventive que jamais, un monde résolument meilleur car partagé avec elle.