J-10. Jamais deux sans trois, si près de l’échéance autant tenter le tout pour le tout et retourner chez une ostéo pour agir sur ce nerf qui coince, je n’ai rien à perdre, tout à réparer. Ma première expérience de l’ostéopathie m’avait laissée dubitative, en même temps je cherchais à soigner une fracture par une manipulation, mon deuxième rendez-vous m’avait décomplexée sur le fait de courir malgré la souffrance, la praticienne m’avait confortée dans ce qui me paraissait sinon relever de l’absurdité totale, d’un masochisme assumé, je me trompais et repartais confiante pour courir mon deuxième marathon sans avoir été vraiment manipulée. Rendez-vous est pris le 31 octobre, veille de la journée des morts, si je pouvais faire le deuil de cette blessure et ressusciter parmi les coureurs en forme, marathoniens au mieux préparés. En attendant, je substitue à mon baume du tigre vidé un flacon rempli d’huiles essentielles Gaultherie, la pharmacienne me déconseille d’aller courir le soir comme je l’avais prévu et m’incite à privilégier une séance d’étirements et à passer lui donner des nouvelles au retour. Je me dis que j’ai bien fait d’entrer au hasard de mon chemin dans la pharmacie de quartier. Le lendemain aussi, je me sens au bon endroit et au bon moment en arrivant chez l’ostéopathe, dont le sourire et la voix, l’attitude générale, me met tout de suite en confiance. D’emblée, je suis invitée à lui raconter mon histoire, toujours la même. Depuis trois semaines, la douleur lancinante en haut de la cuisse et qui m’empêche de courir au bout de 15km en m’immobilisant définitivement si j’insiste ; depuis trois mois, les semelles pour rééquilibrer la jambe droite et la correction apportée récemment, à l’origine d’une perte de repères sans doute ; depuis trois ans, une fracture du bassin, dite de fatigue, dont je me suis mal remise et pour cause, plutôt que d’enchaîner les séances de kiné, je cours mes trois premiers marathons. Elle m’écoute et prend des notes, demande quelques précisions sur le ressenti de la douleur, comme un détective qui mène une enquête, je ferme donc les portes pour elle, j’écarte la piste de la fracture car je ne sens pas une lance infernale me transpercer tout le corps à chaque pas, j’éconduis également l’hypothèse de la lésion musculaire car je n’ai pas l’impression d’un tissu qu’on déchirerait et que je pourrais réparer par le repos et une meilleure alimentation. Je lui parle de l’image d’un caoutchouc qui n’arrive plus à se détendre et qui me lance la nuit. Et ça lui parle, elle m’examine et sollicite la zone en souffrance comme pour lui extirper des aveux, sous la pression de ses poings et de son poids, les muscles se tendent, les nerfs réagissent sauf le plus concerné par ma présence dans ce cabinet, sur cette table d’examen. Enfin, à l’occasion d’un appui répété, je sens très exactement le nerf en question, à la périphérie du sciatique, se manifester, il réagit et s’active, pour la première fois je l’entends. Sa note sonne faux par rapport à l’harmonie du corps alors l’osteo y retourne à plusieurs reprises pour l’accorder au reste des fibres musculaires et nerveuses, moi aux premières loges.