Je reçois ma convocation pour le triathlon de Paris, cette année pour la distance olympique, départ à 8h05 par la vague 1, c’est- à dire que je vais me faire massacrer par les bons nageurs. Tout ce qui m’importe, c’est qu’il ne pleuve pas, que la température de l’eau soit à plus de 24°. Et par-dessus tout, cette épreuve sert d’échauffement à l’échéance suivante une semaine plus tard avec le Half-Ironman des Sables d’Olonne sur lequel Anne Reischmann est alignée aussi, tout comme le triathlon d’Orléans m’avait permis de tester mon pied à peine remis de sa fracture sur le 10km que je n’avais pas pu achever en courant sur tout le parcours dans la douleur fut vive à partir du cinquième kilomètre, mais j’étais allée au bout et cela m’avait donné confiance. Ainsi j’avais pu prendre le départ la semaine suivante au Half-Ironman d’Aix-en-Provence sans appréhension, j’avais progressé en natation, j’allais m’en sortir en vélo, éviter de souffrir à pied. Cette semaine, j’ai réalisé une très belle séance de fractionné sur 9km en trois blocs de 3km, j’ai enfin sorti mon vélo de course pour rouler à Longchamp sur 40km en atteignant 41km/h, enfin j’ai profité du soleil estival pour me croire en vacances à Molitor et nager 1500m, bref la distance olympique est dans les jambes, il ne me restera plus qu’à éviter les algues et les pavés. Un communiqué indique une température de l’eau inférieure à 24 degrés, combinaison autorisée. En cette fin de semaine, il ne me restait donc plus qu’à rédiger une lettre d’intention pour accompagner mon manuscrit, envoyé déjà à cinq Maisons qui n’acceptent d’envoi que par mail, les cinq autres Maisons, plus germanopratines tu meurs, n’acceptent que des manuscrits papier. On se croirait dans l’univers des Maisons Relais & Châteaux dans lequel chacune a sa propre politique d’annulation sans qu’une ligne directrice ne puisse être dessinée, vive l’indépendance. Je suis tellement excitée à l’idée de faire imprimer mon manuscrit que je n’attends pas la fin de la journée pour descendre chez l’imprimeur, c’est l’imprimante numéro 3, j’apporte à l’imprimeur les exemplaires au fur et à mesure de l’impression pour qu’il les relie, il me demande si j’ai besoin d’un carton pour les transporter, je me sens presque flattée, triple idiote. Direction Saint-Germain-des-Prés, tous les chemins mènent à Gallimard mais cette direction est pavée de bonnes adresses, ainsi rue Jacob la fille de l’accueil porte des dreadlocks mauves, je lui laisse la pochette mauve, rue Saint-Benoît, toujours elle, ensuite rue des Saint-Pères, je constate que Science-Po a colonisé d’autres bâtiments de ce côté du boulevard Saint-Germain. Toujours les mêmes appariteurs à l’entrée de l’institution, les appariteurs, ce mot qui me revient, toujours les mêmes profils à la sortie de l’école, je suis certaine de ne jamais avoir ressemblé à ça même il y a vingt ans, plus de vingt ans, encore moins il y a plus de vingt ans, ça m’amuse. Rue des Saint-Pères, je ne parviens pas à m’imaginer Virginie Despentes dans ce lieu austère, je laisse une pochette rose pour faire un peu tâche, de toute façon il fallait bien l’écouler la rose. La prochaine Maison me tient à cœur tant j’ai passé d’interminables minutes à lécher la vitre dans cette petite rue Bernard Palissy, la vitrine n’a pas bougé, il y a une porte que je vois enfin, je sonne et comme l’invite l’écriteau en bronze, je pousse la porte qui s’ouvre sur un couloir étroit, un escalier, on croirait que je récite l’introduction du morceau L’empire du côté obscur d’IAM mais non, c’est réellement ce qui m’attend, je monte l’escalier et je tombe sur une fille. Elle était apparemment en train de partir et attrape la pochette orange, la pose sur un bureau comme si quelqu’un allait l’ouvrir dès lundi matin, il n’y a pas d’autre pochette que la mienne. En reprenant l’escalier pour descendre, je croise un vieux, très vieux monsieur qui descend du même escalier étroit en colimaçon, il me fixe, baisse ses lunettes et me salue, je me sens rougir, je lui retourne son salut en souriant, je crois que je parle un peu trop fort, je sors en courant. Rue Gaston Gallimard, je passe plusieurs fois devant la porte comme si je ne voulais pas la voir, je finis quand même par sonner, une voix enregistrée me dit que la porte est ouverte, elle répète la porte est ouverte, seulement j’ai beau pousser aucune porte ne s’ouvre, on voit bien qu’aucune voix enregistrée n’a jamais ouvert de porte me dis-je quand quelqu’un m’ouvre au numéro 5. On a un problème de porte me dit la fille, elle prend la pochette bleue foncée et contrairement aux autres, elle l’ouvre pour vérifier que mes coordonnées sont inscrites de manière lisible, c’est parfait finit-elle par dire, elle a dit que c’était parfait, tu entends Gaston, je repars avec le sourire. La dernière Maison me fait traverser le 7e puis le 14e arrondissement à pied pour trouver porte close, qu’à cela ne tienne je retournerai la semaine prochaine y déposer mon manuscrit, ainsi que dans le 19e et ce sera fait, il était 18h01 lorsque je suis entrée chez Gallimard, je rentre chez moi à 19h19 et je fais un vœu tout en me disant que j’ai bien hâte d’imprimer le prochain texte.

Photo : Jean Hélion, « Grande Journalerie », 1950.

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