Une semaine s’était écoulée depuis le semi-marathon de Paris, mon premier semi-marathon couru sous un soleil éclatant, j’avais relevé selon leur slogan le « défi du printemps ». Il y avait du Rocky Balboa dans ma préparation au combat, le sublime n’étant jamais loin du pathétique. La journée pouvait se dérouler de la manière la plus banale du monde, elle démarrait par un retour au mythe du héros sur les routes du monde, parti en quête d’aventures, les couloirs du stade déroulaient à l’infini, les obstacles menaçaient aux quatre coins du globe. Je savais que toute sortie supplémentaire après ces quelques mois à partir dans le froid glacial pour courir quelques kilomètres de plus serait la sortie de trop et j’y suis allée quand même. Le semi-marathon n’était pas ma première course, j’avais couru six mois auparavant une épreuve de réservée aux femmes – 6,7 kilomètres -, nous formions une équipée de dix filles. J’avais couru La Parisienne en moins de temps que prévu, ce qui m’avait plutôt surpris, moi qui m’était mise à courir de manière plus aléatoire qu’autre chose, depuis un an seulement, lorsque j’avais quitté mon emploi et qu’un minimum d’activité physique me semblait requis pour garder forme et moral. Je me souviens de la prise de décision, j’étais assise au Tralali devant une pinte de bière et cet état d’engourdissement me parut d’un seul coup insupportable. J’ai pris le métro et suis allée m’acheter tout l’attirail nécessaire pour m’entraîner sur une piste de stade, baskets de course, legging et quelques t-shirts de couleur vive, des chaussettes blanches et une brassière pour courir plus à l’aise. Je n’en étais pas à mon premier forfait puisque depuis deux ans déjà, j’étais inscrite dans une salle de sport juste à côté de chez moi. Au début, je suivais assidument les cours proposés pour gagner en masse musculaire et affiner ma silhouette, seulement à force de vouloir sécher mon corps je m’étais déchiré le tendon d’Achille. J’avais donc, façon de parler, levé le pied, et opté pour les machines, le rameur et le vélo, surtout le pédalo, pour finir par ne plus faire que pédaler inlassablement et perdre plus d’eau qu’autre chose au final. Mais surtout, j’étais devenue une inconditionnelle marcheuse depuis bientôt dix ans. Tous les matins et tous les soirs, j’empruntais le même chemin pour me rendre au travail et rentrer chez moi, j’avais mes repères et mes rencontres, depuis le gérant d’une pizzeria un peu plus bas sur le boulevard Magenta, qui m’attendait tous les matins pour me tendre son petit quotidien qui devait lui avoir été distribué à l’entrée de la bouche du métro, jusqu’aux saluts des garçons de café, occupés à installer chaises et tables en terrasse. Les prostituées de la rue Saint Denis se regroupaient sur le trottoir, chacune sa plate-bande. C’est au milieu de ce petit monde du matin que je me suis forgée une identité de marcheuse, avec un rythme soutenu et une dégaine particulière soi-disant, les bras allant chercher loin devant sans le vouloir – les gardes postés devant le Palais de Justice me dévisageaient avec une insistance toute particulière -, j’imprimais sur le bitume parisien l’élan de mes petits pas.

Je m’étais donc déjà blessée. Ma blessure au tendon d’Achille était due à l’intensité de ma fréquentation des cours à la salle de sport, la marche n’y était en soi pour rien bien sûr, sinon qu’entre les cinq séances hebdomadaires je ne faisais pas que me reposer et récupérer. Je n’ai plus pu m’adonner à la marche, condamnée à d’insupportables trajets en transports, durant de longues semaines qui m’on paru interminables. J’en étais à ce point de saturation qu’il m’était impossible de rentrer chez moi dans cet état d’agacement, j’avais pris l’habitude de passer chez Patakrep, pour râler avec Val, la patronne, finir la soirée en rires et en dérision. Par-dessus tout, Val s’était mise à courir le soir depuis peu et c’était son sujet de prédilection. Je l’imaginais gravir sans relâche les marches de la Butte jusqu’à la place du Tertre puis sillonner les petites rues pavées à la lumière des lampadaires et en mode solitaire, avec l’écho de sa foulée pour seul bruit, avant de redescendre en sprint et ne s’arrêter qu’à bout de souffle. J’écoutais le récit de ses courses nocturnes avec la même émotion que celle ressentie lorsque j’avais lu L’Ile au Trésor étant petite, parce que le récit de Val m’incitait à penser qu’elle allait puiser une ressource qu’elle n’aurait jamais soupçonné en elle auparavant, comme j’avais cru au trésor dans le roman de Stevenson, fascinée par l’obsession autour de celui-ci. Une fois remise de ma déchirure, et après de longues semaines à l’écouter raconter ses sorties sans me sentir concernée en rien par cette pratique sportive, je me suis mise à penser à la course en marchant, un soir j’ai pris les premiers vêtements tombés sous la main pour courir. J’ai pu céder avec un plaisir non dissimulé à son invitation à venir courir avec Val un samedi. En fait d’escalade jusqu’au sommet de la Butte par les terribles escaliers de Montmartre, nous avons commencé par nous rendre au stade en marchant sur un kilomètre entier parce que la montre techno-sportive de Val ne semblait pas vouloir fonctionner en se réglant correctement. Rien n’y fit, la montre lui résista jusqu’au bout. A croire qu’elle ne l’avait pas encore mis en marche depuis qu’elle l’avait reçue en cadeau de la part de son frère pour l’encourager un peu. Je me suis élancée pour un premier tour de stade en essayant de prendre un rythme soutenu, histoire de ne pas avoir honte tout de suite par rapport à l’entraînement intense de mon amie. Val restait en retrait, peut-être pour me laisser prendre un peu d’avance, moi la petite novice. J’ai couru plusieurs tours, me rendant compte à l’évidence qu’il ne m’était pas tant impossible ni même insupportable de garder un rythme certain, voire de prendre relativement beaucoup de plaisir à m’élancer de la sorte sur la piste de course parmi les autres coureurs, de faire partie d’un mouvement presque collectif vers un bien-être commun, je trouvais mon rythme. Je connaissais la distance d’un kilomètre jusqu’au stade, celui du trajet retour vers chez moi, pour le reste je comptais les tours de stade…

J’ai enregistré mon premier 33 tours comme un record personnel.

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