Il y a eu un avant et un après Tinos, ce séjour passé sur l’île de mes absents de parents, une année après le décès de ma grand-mère allemande. Je ne m’attendais certes pas à découvrir son cadavre allongé sur le lit d’hôpital deux jours après mon arrivée dans son foyer. Je m’attendais encore moins à comprendre l’absence de mes parents en me reconnaissant dans ce réflexe incompréhensible aux yeux du reste du monde, en m’identifiant dans leur égoïsme. Je m’étais imaginée arriver au moulin l’esprit belliqueux et le cœur rempli de ressentiments, j’y ai trouvé au contraire un lieu propice à la solitude et à la paix, mais à l’acceptation aussi. J’y suis retournée et j’y retournerai.

Il y a eu un avant et un après Barcelone, cette folle escapade dans la confusion des sentiments. Embarquée à la faveur d’un coup de tête un soir d’automne dans la spirale explosive de relations en train de se nouer et d’intrigues à déjouer, je ne m’attendais pas à projeter dans ce mélodrame sentimental autant d’enjeux existentiels, ma propre survie dans un groupe surtout, tout en résistant à ce besoin si naturel chez d’autres de s’imposer, affronter et en découdre, pour être vu et entendu, plutôt que de disparaître. Je n’ai pas exprimé d’attente ni clarifié aucune relation, laissant s’enliser la situation. Je n’ai pris ni le soin ni le temps pour ressentir.   Je l’ai appris et l’on ne m’y prendra plus.

Il y a eu un avant et un après la Saint Comète. Des occasions de ressentir et puis d’exprimer, de partager mes sentiments et ressentiments, j’en ai eues, j’ai vu, j’en ai provoquées, j’ai vécu. Je ne savais pas en revanche ce que signifiait de vivre un moment de grâce jusqu’à cet instant qui aurait pu ressembler à n’importe quel instant d’une soirée tombée un jour quelconque, sauf qu’il fallait que ce soit ce soir -là, parfaitement, le dernier soir avant son départ prévu depuis des semaines et des mois déjà, je le savais, mais cela ne m’avait pas du tout concernée. A présent, je ressentais une nécessité qui faisait loi en moi et cela l’emportait sur tout le reste, je devais la revoir. Mon étoile allait s’éclipser si je ne la retenais pas avant qu’elle ne fuit dans le firmament, avant de réapparaître sous d’autres cieux, sans doute plusieurs saisons trop tard. Je ne m’attendais pas à la revoir, j’étais allée au-delà de tout espoir, et pourtant elle a accepté. Comment aurais-je pu m’attendre au moment où la force de mes émotions risquait de m’emporter à ressentir un tel apaisement à son arrivée, pareille à l’éclaircie qui balaie le ciel. Nous étions là, l’une en face de l’autre, et la vie me paraissait soudain simple et fluide comme l’expression d’un souhait formulé le plus sincèrement possible pour qu’il se réalise à cet instant précis et sans magie aucune, seulement par le sentiment précis d’être au bon moment au bon endroit, la bonne personne. Ce pur moment de grâce où elle s’apprête à prendre congé, je ne réagis plus. Elle fait une dernière fois allusion à nos sublimes délires, je ne réponds pas. Et je la serre enfin dans mes bras.

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