Clignancourt #5

Clignancourt-Plage, c’est le soleil au coin de la fenêtre dès le matin alors que ce n’est même pas encore les vacances, j’aimerais que cela dure ainsi l’année entière. Depuis le confinement, tous les plaisirs, la moindre liberté, je la vis au centuple, tellement j’ai mal vécu l’enfermement, je sais comment le vivre mieux la prochaine fois. Pour l’instant, les piscines sont ouvertes dès 7h du matin et je suis réveillée juste à temps pour me pointer à l’ouverture du guichet, il y a à peine dix personnes devant moi, personne ne se parle et pourtant on va passer notre temps à s’effleurer dans la ligne. Tous les midis, les avenues sont libres d’accès, je peux emprunter des raccourcis ou prendre des déviations pour courir sur mon temps de pause déjeuner, jamais je n’ai autant exploité mon quartier, je le redécouvre, j’en apprends tous les recoins par cœur. Et le soir venu, je retrouve la plage des terrasses qui se sont déversées sur les trottoirs pour mieux régner sur l’avenir qui nous est réservé ; au moment de l’attentat contre le Bataclan l’idée était de résister contre la peur, à présent il nous faut sortir en gardant à l’esprit le risque de ne pas trop nous approcher non plus parce qu’il en va de notre survie, nous sommes en sursis chaque soir, à chaque nouveau verre je bois à la liberté préservée. Je me tonds la tête plus près du crâne que jamais, je me fais percer l’oreille gauche à nouveau et je choisis une nouvelle marque pour courir d’une foulée bondissante lors de ma nouvelle sortie, autant coller au plus près à qui je suis au moment où tout le monde parle de disparaître à nouveau derrière nos quatre murs, moi je veux bondir et rugir jusqu’à ce qu’on me demandera à nouveau de rester en cage, j’en profiterai pour la dorer.

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