J’ai fini mon café frappé et je balaye une dernière fois du regard les alentours à la recherche du drôle de canard, quand la tranquillité de notre terrasse se trouve dérangée par le débarquement bruyant d’un car entier de touristes qui se suivent à la file en traînant des tongs ; on croirait voir une migration de canards sauvages interdits de vol au-dessus de cette petite crique sympathique du vieux port de Mykonos, obligés de traverser la zone parmi nous autres, sur la terre ferme. Ils respirent la touristesse, cette tristesse des gens un peu privés de leurs facultés habituelles et de leur aisance dès lors qu’ils se trouvent ailleurs, en terre étrangère, désespérément maladroits et obligés de se regrouper pour garder un aplomb à travers le langage qu’ils partagent entre eux. J’ai sans doute ce même air triste lorsque je me retrouve au sein d’un groupe qui m’empêcherait de m’envoler lorsque je m’exprime et que les mots pèsent, alors que je préfèrerais disparaître à petits pas.

J’ai l’impression d’être arrivée à Mykonos depuis des lustres alors que deux heures seulement se sont écoulées depuis l’atterrissage de l’avion, mais peut-être n’ai-je pas réellement atterri. La scène de ma grand-mère française sur son lit d’hôpital me paraît aussi éloignée que si on me parlait de celle qui dans mon enfance disait qu’il ne fallait pas cligner des yeux car c’était « vilain ». Je repense également au décès de ma grand-mère allemande, il y a tout juste un an, lorsque j’ai du précipiter mes vacances d’une semaine pour aller la voir une toute dernière fois. Je ne sais plus quand j’ai revu mes parents pour la dernière fois, j’ai l’impression qu’ils habitent à Tinos depuis toujours, j’arrive en terre inconnue, je ne suis jamais venue les voir sur leur île. Le soleil me fait tourner la tête et je n’ai rien avalé depuis la veille. Je boîte comme un canard vers le serveur qui se tient appuyé près de la porte, je lui paie ma note, il m’appelle « chérie ». Je m’avance vers l’endroit que je prends pour le point d’embarquement et me pose à même le sol, la tête entre les genoux pour reprendre mes esprits. Lors que j’ouvre les yeux à nouveau, une file s’est créée derrière moi, avec des bagages qui abondent de toute part, je dois être au bon endroit ou alors j’ai induit tout le monde en erreur en m’affalant à l’ombre au gré du hasard. Au bout d’un dizaine de minutes, un gros bateau fait son apparition et les garde-côtes nous alignent proprement, plus aucun bagage ne dépasse de la file et j’ai retrouvé mes esprits. Je sens la faim me tirailler l’estomac, j’ai maintenant hâte d’arriver.

Mes parents m’attendent sur le port, mon père se tient derrière, le chien à la laisse, sans doute pour permettre à ma mère de venir me cueillir dès mon débarquement. Elle a préparé une salade grecque pour mon arrivée et tient à me préciser que d’ordinaire la salade grecque, ils la préparent pour le déjeuner. Ils ont dérogé à leurs sacro-saintes habitudes et c’est un fait exceptionnel. Je le savais, j’en prends conscience à ce moment du débarquement dans le port, je vais à la rencontre d’inconnus dont l’univers très particulier n’est pas le mien, m’a éloignée.

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