Noire comme du charbon, la terre volcanique de l’île, carbonisés comme du bois brulé, mes muscles après la course de dimanche, à l’horizon la ligne d’arrivée en plein mois d’août, aussi lointaine que la Lune blanche depuis le lever des matins et la tombée des nuits sur Terre. Deux jours après la course, je suis retournée me dégourdir un peu les jambes dans le quartier, pas plus d’une demi-heure, à un rythme plus que tranquille, les courbatures ont enfin disparu et je me suis longuement étirée, comme jamais encore je n’avais pris le temps de m’étirer de tout mon long, comme si déjà j’avais voulu la décrocher la Lune, pour la porter à mon cou. Mon premier semi-marathon et la blessure dix jours après étaient plus que jamais présents, je n’avais pas pu courir mon premier marathon prévu le mois suivant, pour cause de fracture. Je n’avais plus pu courir pendant une année entière, trois éternités, une leçon de vie marquante au point que j’étais prête à suivre dorénavant tous les conseils sur les plans de préparation et suivre les recommandations de repos. Comme le carbone, je dois suivre mon propre cycle. Trouver le bon carburant et le moyen d’irriguer le cerveau après trente kilomètres de course, savoir comment continuer quand tout mon corps et ma tête me disent de concert d’arrêter tout. La grande magicienne carbure à la grisaille, au commencement de son trait, il y a le clair et l’obscur, la forme et son ombre, le plein puis le creux, rien ne va sans l’autre et tout peut se passer de couleur à ce stade de la création où le pinceau définit les contours et anime la toile, comme un coureur se mettrait d’abord à trotter pour s’échauffer en cherchant à optimiser sa foulée pour qu’elle soit le plus ample possible sans le déséquilibrer ni trop user de sa force. Une seule course ne suffit pas à trouver la bonne foulée et le rythme parfait, loin de là, un peintre pourra exécuter plusieurs grisailles sur le même motif avant de passer à la couleur, avec des rouges, des bleus et des verts pour modeler et gagner en profondeur, à moins de rester sur le gris et d’en travailler les nuances jusqu’à suggérer la couleur dans les traits sans même avoir recours à d’autres teintes pour donner vie au visage, à la silhouette, au modèle. C’est un art aussi de savoir s’arrêter avant d’aller trop loin et gâcher en un trait tout le travail. Et c’est tout l’enjeu du coureur de savoir s’arrêter avant la blessure quand, ayant trouvé le rythme de sa foulée, il tente de tenir durablement l’allure la plus élevée sans céder à la fatigue. J’ai appris à écouter les alertes au fil de mes blessures, je connais peu de coureurs qui ne se soient jamais blessés, je garde en mémoire l’élan enthousiaste avec lequel je m’étais lancée aveuglément dans la préparation de mon premier marathon au lendemain du semi et sans avoir pris le temps d’analyser mon besoin de récupération, d’écouter mon corps et d’attendre. Lorsque je me suis élancée parmi les coureurs dimanche pour courir mon deuxième semi, trois ans plus tard, j’ai pris très à cœur l’idée de revenir à l’étape première, case départ, ralentir pour avancer, recommencer comme au premier jour, enfin j’ai pu savourer la grisaille.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s