Je me souviens avoir brillé avec autant de subtilité ce jour où j’ai croisé pour la première fois celle que je n’ai pas remarqué lors de la soirée parce qu’elle était assise derrière moi et que, comme si souvent, il y avait autant de raisons de se parler que de ne pas le faire. Cette fois, elle était invitée comme moi chez la même hôte et je suis arrivée seule et en retard. Elle était déjà là, assise dans le canapé, je n’arrivais pas à me faire une image de cette grande voyageuse, sinon qu’elle partait longtemps et très loin, je l’envisageais avec plusieurs facettes. A mon arrivée dans le salon, j’ai présenté mes excuses pour mon retard, je me sentais nerveuse. Elle s’est levée et m’a fait une place sur le canapé. Je me suis assise, plus détendue déjà, et j’ai pris le récit de son dernier périple en cours. J’aurais dû la laisser poursuivre sa narration, mais je n’ai pas pu. Sans cesse, j’interrompais son histoire pour lui demander des précisions et réagir aux anecdotes qu’elle parsemait ici et là, comme s’il s’agissait de banalités de la vie quotidienne. Pour elle peut-être, pas pour moi. Je raffolais des détails et mimiques avec lesquels elle campait chacune de ses rencontres, usant de voix distinctes et de bruitages géniaux, et cette inflexion dans la voix vers le grave, tout cela avait sur moi un effet spécial.

Au moment de passer à table, elle a pris l’initiative de reconfigurer les places sur un coin de table, plutôt que d’occuper toute la surface et se toiser à trois, l’une faisant office de candidat face aux deux membres d’un jury. L’art de redessiner d’un seul coup de baguette la soirée. Clouée que j’étais dans le canapé, à côté d’elle, je n’avais pu observer la magicienne que de biais. A présent, il m’était donné l’occasion de me tourner vers elle et la regarder parler, bouger et s’émouvoir. La délicatesse qu’elle a eu aussi de se tourner vers moi, lorsque la discussion a basculé sur les arts martiaux, pour prendre le temps de m’expliquer les termes que je ne connaissais pas.

A l’issue de la soirée, et parce que je savais que j’aurais droit à une question sur mes premières impressions sur la magicienne, j’ai cherché là encore à me démarquer par quelque subtile réflexion. Elle avait passé son bras autour de mon cou au moment de venir me saluer, j’avais trouvé cela charmant, sans pour autant être capable de penser quoi que ce soit d’autre. J’étais envahie par sa délicatesse.

Tout l’exact contraire de moi… De fait, je n’avais même pas remarqué ce soir-là qu’elle avait de grands yeux bleus qui lui mangeaient le visage. Je n’ai rien remarqué du tout, rien vu venir, comment aurais-je pu. Il faut être un tant soit peu disponible pour sentir certaines choses, voir et savoir, or je ne l’étais pas du tout et ne voulais sans doute pas l’être à ce moment là où j’étais moins présente à moi que pour d’autre que moi. Je me suis activée à débarrasser la table, le temps de trouver la remarque la plus intelligente et pertinente de la terre et j’ai lancé : « t’as vu, elle portait un jean Levi’s marron, je ne savais pas que ça existait ! ».

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