Tu as raconté ton histoire pour la première fois à ce qu’on peut appeler une parfaite inconnue. Tu as raconté ton histoire à tellement d’inconnus qui le sont devenus un peu moins, au fil de ton récit, et ton histoire t’est devenue elle aussi moins étrangère en la racontant aux autres. Tout a commencé lorsque tu t’es aperçue que les autres avaient une histoire à raconter, eux. Grâce aux autres, tu es allée inventer ton histoire en attendant de la trouver pour avoir toi aussi quelque chose à raconter qui pouvait te donner une identité, un semblant d’existence alors que tout le monde semblait jongler à merveille avec ses anecdotes, la conscience de soi. Ton récit s’est étoffé et a évolué tout au long des rencontres, à se demander si l’histoire est faite par celle qui la raconte ou plutôt en fonction de celui dont on voudrait retenir l’attention. Auprès de la correctrice, tu as raconté les Noëls en Allemagne et elle t’a repris plusieurs fois pour que tu précises les rites et les coutumes, tu as compris en t’exerçant qu’une histoire est d’abord composée par ce qui se répète, comme un contexte tissé sur lequel viennent se broder les événements éléments, éléments qui déterminent le sens et la tournure de tout scénario. Ainsi, tu as raconté tes répétitions de chorale à la choriste en insistant sur son arrivée dans le pupitre comme un événement pour toi de la plus haute importance et qui valait un récit en soi, à la marathonienne tu as fait le récit de tes courses en creusant les raisons de ton activité, pourquoi ce besoin de courir et repousser sans cesse ses propres limites jusqu’à la blessure, cette fameuse fracture de fatigue qui est devenu l’événement autour duquel tu t’es trouvée toi. A la dépendante, tu as ajouté un élément déclencheur à chaque événement dans ton histoire, les courses et les rencontres, à savoir cette quête obsessionnelle et vertigineuse de l’intensité. Le vertige, cette découverte de l’abime en toi, tu l’as raconté à l’occasion de ta rencontre avec la grande magicienne, elle qui savait en un portrait dire l’histoire d’un visage et d’un regard. Ton récit a beaucoup évolué depuis les Noëls de ton enfance jusqu’à la blessure et à la découverte de tes propres limites, parce qu’à chaque rencontre il a été l’occasion de le tester sur un éclairage neuf ouvrant sur d’éventuelles questions et permettant un recul toujours neuf. Jusqu’ici tu pensais écrire ton récit, tu te rends compte qu’il n’en est rien du tout, c’est ton récit qui t’a écrit et t’a donné une image de toi, une identité aussi, la clé de tous les possibles, bref la permission de croître vers quelque chose qui te parle et te ressemble, et par-dessus tout tu t’es forgée le meilleur outil pour échanger avec ces autres dont tu t’étais fait une image, autrui ce mot derrière lequel tu visualisais un arbre avec ses racines et son élan vers le ciel. L’écriture même de ton histoire t’a construit, la répétition d’un même récit a creusé ses racines pour te donner des repères dans le temps et son partage t’a ouvert le champ des rencontres pour multiplier les échanges dans toutes les directions permises par le langage et ses interprétations plus ou moins cohérentes pour finalement donner un sens à ta quête de toi.

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Une réflexion sur “Genre #2.1.1

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