Il y avait entre Elsa et moi une certaine forme de complicité, que Natalie avait tôt fait d’appeler le « monde parallèle », parce qu’il semblait rester inaccessible aux gens autour de nous, pour moi il y avait une évidence dans un simple échange de regard suivi d’un fou rire. J’avais écrit un jour, en mode cartésien, que le rire est la chose au monde la mieux partagée, car chacun croit pouvoir si aisément se rapprocher de l’autre par l’humour, qu’il en oublie bien souvent de donner l’importance qu’il se doit à la connivence soudaine entre deux individus en train d’échanger sans qu’eux-mêmes prennent conscience de cet enjeu qu’est ce lien qui se crée entre eux, précieux rare et unique. Or, poursuivais-je, tout rapprochement de circonstance risque de perdre sa capacité à créer un lien véritable et durable dès lors que ces deux mêmes individus ne cultivent pas les affinités qui auraient permis à celui-ci de perdurer, et que l’un au moins des deux privilégie plutôt la satisfaction somme tout très personnelle de parvenir à faire rire l’autre, pour servir strictement l’image qu’il voudrait donner de lui-même. A partir de là, et c’était ma conclusion, le ridicule et l’absurde, symptômes de l’humour vide de sens et sans connivence, ont tout loisir de s’installer et risquent d’interférer dans la relation pour la fausser, voire agir à l’encontre de la personne dont on cherchait tant à se rapprocher. On la sent alors s’éloigner, sans raison apparente d’abord, puis l’importance que signifiait la relation à l’autre individu ne lui apparaît désormais qu’à travers l’absence. Je redoutais par-dessus tout de ne plus pouvoir retrouver cette même connivence spontanée dans la rencontre, après ce week-end, parce qu’à mes risques et périls je souhaitais trop me rapprocher d’Elsa. Souvent, ces dernières semaines, je me surprenais à penser à Elsa, sans raison apparente. L’objet de mes tergiversations sentimentales depuis un mois, c’était Elsa. Est-ce que je savais où cela me menait d’avoir insisté pour qu’elle nous rejoigne à Barcelone, voulais-je savoir ? Cela s’est passé dans ce bar où nous nous étions retrouvées Anne et moi à la sortie de l’opéra, le hasard a fait qu’Elsa et Natalie s’y trouvaient également. J’avais œuvré avec Natalie pour qu’Elsa fasse partie de notre périple, un peu pour gérer le duo intrépide entre Natalie et Anne, mais aussi et surtout pour mieux la connaître.

Savoir où cela pouvait me mener. Peut-être cela importait-il peu au final, pourvu que le voyage soit agréable et le paysage nouveau à chaque coin de rue. Il importe sans doute davantage de savoir réjouir l’autre et se montrer dans les meilleures positions pour le faire, rien ne sert de brusquer les circonstances. Il importe moins en revanche que les choses soient dites une fois pour toutes, ne serait-ce que pour la simple et bonne raison qu’elles évoluent. Au pire, l’ambiguïté permet parfois d’ouvrir de nouvelles possibilités, me disais-je à l’époque, au moins celles de fantasmer ou de se projeter.

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