Le chronomètre affichait quasiment cinq kilomètres de course, soit la distance sur laquelle nous nous étions mises d’accord. Nous avons gardé tous les tours qu’il restait à courir dans ce stade pour la fois d’après, pour toutes les fois suivantes. Nous avons traversé à nouveau le boulevard des Maréchaux par un chemin que je me suis plu à découvrir avec elle.

 

Arrivées devant chez moi, je n’avais toujours pas la moindre idée concernant ses intentions, les miennes étaient très claires. Sur le pas de ma porte d’immeuble, je lui ai proposé une séance de cinéma pour un film chilien le soir même, une manière assez univoque d’affirmer mon intérêt pour elle au-delà du plaisir de courir à deux, et de finir cette belle journée dominicale sur une note prometteuse et pourquoi pas. Pourquoi cette sempiternelle tendance à vouloir précipiter une conclusion dont il me serait possible de modifier la teneur si je n’allais pas la provoquer aussi subitement, et alors même que je ne connais pas l’intéressée depuis une semaine. Quatre jours dont une soirée de prise de contact et une course de rapprochement, deux journées ponctuées de quelques échanges virtuels, essentiellement orientés vers une stratégie plus maladroite qu’autre chose pour connaître son âge.

 

Je n’avais toujours aucune certitude non plus quant à son année de naissance lorsqu’elle est revenue vers moi pour une nouvelle course, en proposant samedi après-midi. Suggérer un rendez-vous un samedi dans l’après-midi, c’est à peu près aussi sage et insignifiant que de le fixer un dimanche en fin de journée, nous n’avions pas beaucoup avancé. J’ai répondu que je n’étais pas disponible, ce qui était vrai puisque j’étais d’astreinte ce jour-là. En y repensant, j’étais sur le point de décliner de la même manière lors de sa première proposition pour courir le dimanche 30 novembre, cette fois-ci au prétexte tout aussi légitime qu’en fin de mois j’alignais déjà au comptoir pratiquement 200 kilomètres de course et qu’il me fallait au moins un jour de récupération pour reprendre des forces et pouvoir enchaîner. J’avais fini par céder en me rassurant sur la lenteur du rythme de cette dernière course de novembre, d’autant qu’il me fallait soutenir la conversation avec elle, une première pour moi. Cette fois, je lui ai soumis l’idée de courir en toute fin d’après-midi du samedi, sans aller jusqu’à oser parler de samedi soir ou tout autre proposition indécente du genre. Nous avons convenu d’un rendez-vous à 17 :43 en bas de chez moi. Il faisait froid et la nuit commençait déjà à tomber, ainsi qu’une fine bruine, j’e lui ai indiqué le code de ma porte d’entrée et mon numéro de téléphone pour qu’elle m’attende au chaud. Mes intentions sont claires.

Nous avons eu la même idée de commencer notre parcours par le dernier stade visité lors de notre dernière course, en empruntant le chemin découvert ensemble. La nuit était compacte et l’air s’était adouci, la pluie avait cessé de tomber comme par un fait exprès. Nous avons traversé le vestiaire, au fond du couloir se dessinaient déjà les lumières criardes de la piste, nous avons poussé un même cri de joie, le spectacle et la situation, c’était un moment parfait. Nous étions seules au monde dans ce stade tenu secret au reste du monde comme par miracle. Je lui ai raconté l’histoire de mon frère caché, dont j’avais découvert l’existence récemment, un frère aîné. Sous le coup de l’émotion, et parce qu’elle avait vécu une histoire similaire, elle m’a répondu en anglais.

Il ne fut plus question de changer de stade, nous sommes restées à parler courir et faire connaissance dans le même stade ce même soir, sur un trajet de huit kilomètres, dont j’aurais voulu qu’il ne s’arrête jamais. Une fois arrivées devant chez moi, la soirée s’annonçait et les rues s’animaient, j’hésitais à lui demander ce qu’elle faisait dans l’heure, elle ne semblait pas pressée de rentrer elle non plus. Mais aucune ne prenant les devants, nous nous sommes donné rendez-vous le lendemain, dimanche, puisque aussi bien une répétition était organisée avec la chorale. Je suis restée chez moi. Elle a mangé ses rouleaux de sushis, debout toute seule dans sa cuisine.

Il s’est écoulé un réveil et une matinée à patienter jusqu’à l’heure de la retrouver à 14h30, et pour bien faire les choses, je lui avais proposé de venir la chercher devant chez elle pour aller à la répétition à pieds, je suis arrivée avec deux minutes de retard, elle guettait mon arrivée depuis le haut de ma rue, sans que je ne l’ai vue. Nous avons passé le trajet à poursuivre les conversations de la veille, hilares, je sentais sa joie m’envahir, je me sentais pleine d’énergie en sa présence. Certains regards de sa part m’ont orientée sur ses intentions, des regards insistants, comme ceux que je lui envoyais. Je lui ai proposé de m’accompagner à une avant-première lundi.

 

C’est ce jour que c’est arrivé. Nous somme sorties de la séance de cinéma et, au lieu de rentrer par le métro et de descendre à sa station, j’habite à la station suivante, elle a voulu rentrer à pieds. C’est un trajet qui m’est familier, pour avoir emprunté la rue Saint Denis et le boulevard Magenta matin et soir pendant une décennie, j’ai plaisir à emprunter ce trajet et constater avec surprise à quel point la première rue s’est métamorphosée depuis que je ne passe plus par ici. Des terrasses ont émergé et les enseignes de cafés et boutiques se veulent plus aguicheuses qu’ailleurs.

Sur le trajet, nous en venons à parler de nos relations passées, de notre situation personnelle, cela fait maintenant dix jours que nous nous tournons autour, elle ne pouvait pas ne pas savoir mes intentions la concernant et je la sentais intéressée par autre chose qu’une amitié. Aucune de nous deux n’avait osé jusqu’à présent poser la question explicitement de savoir si l’autre était en couple, libre ou pas. C’est elle qui m’a posé la question en premier, j’ai dit que non, j’étais libre. Puis je lui ai retourné la question. Elle m’a répondu qu’elle était en union libre et qu’elle pouvait rencontrer quelqu’un, me laissant entendre qu’en l’occurrence, c’est ce qui était en train de se passer entre nous et que cela ne posait aucun souci, au contraire.

Elle m’a aussi demandé si cela me poserait un problème de la savoir en couple par ailleurs. Récapitulons. Nous sortions d’une séance de cinéma qu’elle avait accepté sans hésiter, elle était partante pour me retrouver le lendemain autour d’un documentaire avant de partager ensemble les résultats des élections américaines ; la veille nous avions chanté ensemble, nous nous étions cherchées du regard ; le samedi auparavant, nous nous étions confiées sur nos secrets de famille, tout semblait converger jusqu’ici vers une disponibilité fluide de sa part pour chacune de mes initiatives, je n’avais pas en savoir davantage.

Quand nous nous sommes retrouvées devant son immeuble, elle a insisté pour me raccompagner à son tour devant chez moi, il y avait de la rumba dans l’air, une envie partagée que la soirée ne finisse pas. J’en savais suffisamment sur elle pour me sentir attachée autant qu’attirée et sentir qu’il serait plus sage de ne rien précipiter entre nous, après tout je ne l’avais pas encore embrassée. Nous sommes arrivé devant mon immeuble et je ne lui ai pas laissée le temps de finir sa phrase, je l’ai prise dans mes bras et l’ai embrassée, d’abord dans le cou puis sur ses lèvres. Elle m’a rendu mon baiser au centuple. Je l’ai embrassée longuement, pendant un temps suspendu au seul plaisir d’avoir la même envie.

Trouver la personne avec qui partager la même envie. Les mêmes envies. La même envie d’être en vie, je me sentais si vivante et animée de désir dans ses bras, à tenir serrée sa taille si fine et sentir la douceur de sa peau sous mes mains, sa chaleur m’envahissait d’un sentiment de plénitude et de total abandon. J’ai découvert son sourire, ce sourire là, et son regard lorsque ses pupilles sont dilatées, j’ai lu son désir en écho au mien, j’ai vu son attitude coquine et mon cœur faillir. La voir, l’avoir. Je voulais l’avoir pour moi toute une nuit et tout un matin, savourer l’attente, la savoir présente dans ma vie.

Je l’ai raccompagnée à nouveau en haut de la rue en lui proposant de venir chez moi samedi, et de passer la nuit ensemble.

 

La nuit. Pour la vie on verra.

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