Alex, ce prénom utilisé par le diminutif par lequel tu apprends son existence un jour, ton frère. Ton prénom de garçon aurait été Christian, dont le diminutif pour le coup peut être utilisé également pour un prénom de fille, avec ce prénom masculin tu aurais pu semer la confusion. Pas avec le tien, ni aucun des prénoms de tes sœurs, on a fait en sorte qu’il soit clair aux yeux de tous et quelque diminutif ou sobriquet que l’on puisse vous affubler à toutes les trois, que vous êtes nées filles et que vous le resterez, telles que vous êtes, vous ne remplacez pas Alex. Ou plutôt vous venez au monde en opposition tellement parfaite qu’on ne peut que l’oublier, vous êtes en nombre, il est seul, vous êtes trois filles contre un garçon, il vous connaît depuis toujours et au contraire vous n’avez pas le moindre soupçon quant à son existence à lui, sinon qu’il plane ce quelque chose d’inquiétant durant toute l’enfance, ce parfum âpre des non-dits. Impossible de ne pas flairer une arnaque et empêcher une réaction opposée à celle escomptée, à savoir l’inquiétude au lieu d’être rassuré sous le prétexte fallacieux que si l’on ne sait rien c’est qu’il n’y a rien à savoir, la culpabilité aussi parce qu’il se passe quelque chose de pas très clair et qu’on aura naturellement tendance à le prendre pour soi, tu as dit ou fait quelque chose et depuis les dés sont pipés, d’ailleurs le drame est placé sous silence tant c’est grave. Et maintenant que l’abcès est crevé, tu te demandes comment il possible de mettre en sourdine l’existence de quelqu’un qui compte forcément puisqu’à force d’avoir mis en place tout un stratagème d’omission, un véritable système de défense en cas d’interrogatoire en fait, tu ne conçois pas qu’en face de toi les personnes qui t’ont mis au monde aient eu à l’esprit l’existence de ton propre frère au moment de t’avoir à l’œil, suivre ton évolution dans la vie, comme un miroir destiné non pas à grossir le trait mais à faire disparaitre l’original, le frère.

Tu n’en finis pas de te demander comment le secret a pu ne pas sortir d’une bouche par hasard puisque toute la famille était au courant, tantes et cousins, parents et grands-parents, comment dans un regard tu as pu ne pas lire une histoire muette ou la recherche d’une ressemblance. Alors tu commences à t’interroger sur l’influence qu’aurait pu avoir ces conversations tues sur tes premières habitudes dans l’enfance, à savoir préférer toujours le pantalon et refuser la robe, tirer la chemise de manière impeccable pour qu’il n’y ait aucun pli, pareil pour les cheveux, gommer tout ce qui dépasse et dénature ce corps pour qu’il lui ressemble, à l’autre. Parce qu’il faut bien le dire, tu ne parviens pas à prendre possession de ton aspect, tu es une présence en creux, tu ne cesses de scruter ce visage comme s’il n’était pas le tiens et que tu attendais qu’il prenne l’apparence et la forme d’une personne que tu n’es pas encore devenue. Et tu te prends à croire qu’il s’agit d’une histoire de coupe de cheveux qui ferait toute la différence, alors tu vas attendre et réclamer qu’on te coupe cette tignasse qui masque tout au point de t’empêcher toi-même de te reconnaître dans un miroir, mais en face de toi ça résiste.

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