Il faut plus d’une fois pour chanter le bonheur #119

je suis partie en fleurs au premier regard 
comme un coup de cœur par ton œil rieur
à peine ai-je eu le temps 
de trouver la branche
de t’épier un peu 
de te voir de loin
tu venais te poser sur la même que moi
sans provocation mais si près déjà
tes couleurs dans mon cœur
faire un vrai malheur
ton île sous la pluie
me faire presque envie
je sais quand tu souris l’oiseau me le dit
qui à ma fenêtre attend le matin
le récit de mon rêve 
pour venir à toi
moineau de bonheur
te confier tout ça

Photo : Vincent Van Gogh, « Branche d’amandier en fleurs », 1888.

Son île à elle, ses ailes à lui #94

au sol vous me verrez tenter de m’y ancrer en cherchant dans le ciel 
le fameux mont merveille
je cultive toutes les vagues qui pourraient m’emporter par la prochaine fenêtre 
vers un nouveau peut-être
le port est droit devant mon jardin reste ouvert j’ai pour simple bagage 
les racines du voyage

Photo : Pierre Alechinsky, « Amsterdam », 1965.

Son île à elle, ses ailes à lui #90

mes pas dans la neige 
c’est pour dire le ressenti 
quand la vie ralentit on se centre sur elle
à mon âge on ne fait plus 
le tour du cadran 
mais celui des avis et de la terre aussi
et toi qu’en dis-tu
l’attente est-elle supportable 
là où le mot est neutre tellement moins tentation 

Photo : Constantin Brancusi dans son atelier devant les « Colonnes sans fin de I à IV », 1934.

Son île à elle, ses ailes à lui #78

et si j’ai tout bien fait j’arriverais alors 
sans m’être retournée 
ni vue dans mon reflet
combien d’années passées depuis l’été dernier 
j’ai tout détricoté 
rejoué toutes les scènes
sait-on un jour vraiment si on est arrivé 
chaque entrée dans le port 
sonne un adieu bientôt
le clapotis des vagues quand j’ai les yeux fermés 
c’est un peu comme d’attendre
le cliquetis tes clés
je joue ma vie entière dans l’ouverture de portes 
dans chaque façade je vois 
une baie par où passer
si tout n’est que passage pourquoi tant se presser 
et si tout est présage 
j’ancre mon ciel en toi

Photo : Joan Miro, « Chiffres et constellations amoureux d’une femme », 1941.

Son île à elle, ses ailes à lui #77

racontez-moi comment le ciel flamboie de rouge quand tout est encore loin 
pourtant quelque chose bouge 
le port est incendié comme pour une arrivée
devrais-je suivre la flamme ou plonger dans le noir la terre ferme m’appelle-t-elle 
ou crie-t-elle au danger 
ma barque reste muette les vagues veulent me garder
sous mes pieds un abysse d’habitudes égarées tout au long du voyage 
je suis vierge d’idées 
reçues à la va-vite sans frisson sur la peau
au-dessus de ma tête le vertige d’ignorer ce qu’il y a après 
et si j’ai tout bien fait 
je fixe mon regard comme si ton cœur s’ouvrait

Photo : Zao Wou-Ki, “Four oils on canvas”, 1963.

Son île à elle, ses ailes à lui #43

sans idée plus précise la vague déferle en moi
et m’emporte vers l’autre 
ondoyante est la barque
je rêve d’un horizon une ligne sinueuse
et souple comme une route dans la vallée
ma démarche serpentine fait flotter l’océan
et mon corps se déplace 
je n’ai pas avancé
un peu comme une fête dans le calendrier
à différentes dates
elle sera célébrée
le départ serait-il une idée arrêtée
vais-je arriver un jour y suis-je à chaque fois
que je relance ma barque vers un point une vision
je ne cesse d’accoster
et me rends au présent

Photo : Alexander Calder, Mobile et “Seven Black, Red and Blue”, 1947.

Son île à elle, ses ailes à lui #40

ainsi le monde entier préfère se prosterner
j’abrège mes adieux pour mieux prendre le large
mon pied est trop marin pour céder aux courbettes
soudain une pluie d’or déshabille le ciel sombre
s’ouvre une nouvelle route 
qui donc veut me troubler
je laisse sur moi tomber le rayon de soleil
et sans m’être attachée je rêve de le suivre
par miracle ma voile reste à la verticale
suis-je encore capitaine 
de mon propre dessein
quelle sera la saison par-delà l’horizon
les dieux peuvent s’acharner je sais où m’échapper
je ne suis plus ici 
je vis dans un ailleurs

Photo : Gustav Klimt, « Danaé », 1907.

Son île à elle, ses ailes à lui #33

un ailleurs sans retour qui tangue sans tendresse
je ne suis plus inscrite sur l’un de vos registres 
sinon en mode épique quand l’effroi est franchi
je mets le cap sur l’esthétique 
le répertoire 
des vagues joue ma gamme déglinguée 
tout ce vers quoi
je ne tends pas je ne me sens 
plus attachée 

sous l’impulsion des accélérations de pouls
mes artères nous transportent mon cœur tel un vaisseau
et moi déroulant une à une
les vertèbres 
de l’aventure de port en port 
et chaque soir
le visage est différent de
celle sur qui
je vois le soleil succomber à la beauté 

Photo : Felix Vallotton, « Paysage, soleil couchant », 1919.

un ailleurs sans retour qui tangue sans tendresse
je ne suis plus inscrite sur l’un de vos registres 
sinon en mode épique quand l’effroi est franchi
je mets le cap sur l’esthétique 
le répertoire 
des vagues joue ma gamme déglinguée 
tout ce vers quoi
je ne tends pas je ne me sens 
plus attachée 
sous l’impulsion des accélérations de pouls
mes artères nous transportent mon cœur tel un vaisseau
et moi déroulant une à une
les vertèbres 
de l’aventure de port en port 
et chaque soir
le visage est différent de
celle sur qui
je vois le soleil succomber à la beauté 

Photo : Felix Vallotton, « Paysage, soleil couchant », 1919.

Son île à elle, ses ailes à lui #32

l’océan clandestin clopine de bon matin 
les vaguelettes se jettent en rythme saccadé 
comme pour mieux échapper au trafic en pleine mer
qui se fait en cachette 
une fois la lune couchée 
je revêts ma vareuse et prends mon air sérieux
mon pas est militaire mes intentions naïves
je veux partir au loin et mieux me revenir
rien de plus enfantin 
en costume de marin 
mon rêve est tricoté dans de la laine épaisse
on salut mon passage oh matelot courage
le sabre de la garde y voit des étincelles
j’embarque pour l’aller
un ailleurs sans retour

Photo : Pablo Picasso, « Maya en tenue de marin », 1938.

Son île à elle, ses ailes à lui #30

je me rêve minérale sans organe dirigeant 
tel un tissu vivant très mal organisé
au point de ne même plus 
fonctionner sans soleil
et ne pouvoir dormir sans un rien de beauté
le port est encore loin mais les couleurs déjà 
ont retrouvé l’éclat 
d’avant le blanc opaque 
se dégage une saison de miel et de citron 
pour remplacer le ciel enroué de décembre
j’ai trouvé dans la neige
des pas aussi discrets
que ceux d’une plante verte qui se faufilerait
choquée par toute la foule choquée d’être la seule 
à pousser comme il faut
je la suis en secret

Photo : Vincent Van Gogh, « Paysage dans la neige », 1888.