Il faut plus d’une fois contempler longuement #173

le regard aimerait se poser partout où 
le voudrait la caresse de la vue 
ne sachant 
quelle fraction de seconde
rend la peau capitale
et le vent par son jeu cherche ma distraction
parmi tous les détails la main feint
la balade
et tout le reste n’est
que pure contemplation

Photo : Pierre Bonnard, « Un panier de bananes », 1926.

Il faut plus d’une fois savoir prendre la pose #172

une fleur une seule mais alors la plus belle 
celle dont les pétales hier encore contractés 
ont compris le secret du tonus dans la nuit 
aujourd’hui relâchés vous racontent la vie
du soleil le rayon celui qui loin de l’astre 
voudrait aller toucher le visage absorbé 
pour tirer de ce peintre au subtil doigté 
le sourire que son trait a déjà esquissé  
le regard sa magie à savoir infuser
d’une intention heureuse 
le passant trop pressé
la serveuse dépassée 
pour offrir l’occasion 
d’un instant de quiétude
loin de tout loin de vous 
loin de moi 
loin de soi

Photo : Takashi Murakami, “Flower of Joy – Yellow”, 2007.

Il faut plus d’une fois se pencher au plus près #170

regarder de si près c’est déjà être ailleurs
un demi-ton de plus on versicolorait 
le moindre gramme en moins 
aucune porte ne s’ouvrait
la couleur a le chic
pour plaire seule
à l’œil nu
dans sa quête d’harmonie elle quitte la solitude
aucune autre magie 
qu’un espace
dynamique
c’est tout un paysage
à la conquête d’une âme

Photo : Park Seo-Bo, « Ecriture », 2002.

Il faut plus d’une fois écouter son instinct #169

le jour s’active jusqu’à tomber
si c’est d’amour il se fait rouge 
retient des paupières la lumière 
plonge dans la nuit 
invente le songe 
prolonge le rêve 
l’instinct me suit à l’intérieur
ce qui dure n’est pas linéaire 
le temps non plus alors j’allume 
dans les virages 
de la vie les
dénivelés
ouvrent l’esprit

Photo : Pablo Picasso, « Diurnes », 1962.

Il faut plus d’une fois se laisser enflammer #168

j’ai percuté un corps incandescent 
les étincelles ont jailli pour écrire 
ce point brillant où je lis dans le ciel 
les lettres de son nom 
mon horizon 
et chaque jour 
est le premier reflet 
d’une même histoire 
narrée par des nuages 
aussi variés que les langues du monde 

Photo : Joan Miro, « La première étincelle du jour », 1966.

Il faut plus d’une fois cultiver l’obsession #167

la pâleur de l’espoir résume en un rayon 
la naissance d’une lumière 
disparue le jour même
sachez par obsession 
osciller comme je fais
amertume et verdure assaisonnés d’orgueil 
la lourdeur de l’orange 
et le vert défaillant 
m’ouvrent leur nuancier
claire est mon intention 
qu’ils parlent d’elle encore de paille et d’ailes et d’or

Photo : Henri Matisse, Lithographie, 1945.

Il faut plus d’une fois se passer de tout mot #166

au-delà de tout nombre plus grand 
que le plus loin 
la puissance infinie de nos 
imaginaires 
dans nos doux ciels cinglés nous donne 
le droit du fou 
celui de tout nommer jusqu’à 
inventer ça
un mot mis sur ce que l’œil nu
ne voit même pas  
au comble de l’excitation
je définis 
le plus par toi multiplié
comme la joie
qu’aucun mot ne pourrait décrire 
sinon l’amour

Photo : Marc Chagall, « Hommage à Gogol », 1917.

Il faut plus d’une fois accepter la folie #165

le génie part en songe 
la lumière se fait or 
un peu de miel solaire 
butiné sur milles fleurs 
d’alchimie éperdue 
de folie infinie 
quand une seule couleur 
résume la vie d’un homme 
c’est son cœur et sa vie 
contemplés en un ciel 
qui s’enflamme et grossit 
pour se défaire du monde 

Photo : Vincent Van Gogh, « Champ de blé avec un faucheur et soleil », 1889.

Il faut plus d’une fois cacher son émotion #164

entre nos dires nos projections 
la curiosité crée des ponts 
je te franchis à l’horizon 
d’une impatience 
qui tait son nom 
nous savons toi et moi sans mot 
ce que la peau comprend déjà 
ces inflexions liées à la voix 
cachent un soupir 
à l’intérieur
quand dehors tout n’est que sourire

Photo : Paul Klee, « Signes en jaune », 1937.