Il faut plus d’une fois monter à la surface #368

depuis le temps la confession se laisse aller 
lasse et lascive
à une étrange facilité
c’est ainsi que la profondeur du lac s’éprend
de ce peu d’air
se plaît à caresser l’aigue
pour mieux replonger dans le grave avaler l’ombre
surtout savoir
sa vraie lumière est mouvement

Photo : Jean Dubuffet, « Le Malentendu », 1976.

Il faut plus d’une fois s’offrir des mots fleuris #367

d’une rive à l’autre je lui demande comment on dit 
son sourire me traverse l’esprit
comme une barque dans la nuit
les choses sont des idées et chacune fait son bruit
laisse-toi surprendre et réagis
aussitôt il se passe un mot
c’est ainsi que dans son jardin on fait fleurir
les phrases sur des tiges d’aujourd’hui
une histoire par pétales entiers

Photo : Marc Chagall, « Danseuse sur un fond mauve », 1970.

Il faut plus d’une fois se laisser emporter #366

le bleu admirable ne s’en laisse pas moins conter 
la lumière est une sirène qui vient le troubler
tour à tour invisible il fabule à sa guise
avant de se laisser
séduire par un sourire
et toujours la beauté fatalement l’emporte
vers ce versant du fleuve que l’on osait flatter

Photo : Henri Matisse, « L’atelier aux poissons rouges », 1912.

Il faut plus d’une fois patienter au printemps #365

fin du mois avril part en vrille 
en ville le printemps prend son temps
vides les rues couleurs saturées
primitive la danse est pensée
pour en nous le fauve regarder
il cherche à sauver son été
sans garder une poire pour la soif
au moment où son rituel
travaillé sur les feuilles d’automne
tue l’ennui d’hiver sous mon aile

Photo : André Derain, « La Danse », 1906.

Il faut plus d’une fois savoir la terre en soi #363

la terre s’est dispersée elle rassemble ses idées 
je suis terre toi sous l’eau elle est l’air nous le feu
tu n'as pas l'air plus sage au lendemain d’une veille
et pourtant notre train roule sur des voies cassées
serais-tu de passage et ton âme à louer
mille rêves éclairent encore
ton cosmos quotidien
au loin une étoile
pleure
et reste silencieuse

Photo : Felix Vallotton, “La valse”, 1893.

Il faut plus d’une fois laisser filer le doute #362

si toutes les branches doutaient de la verdure des feuilles 
on soufflerait sans doute plus loin dans le feuillage
si les nuages doutent de la densité d’une brume
le soleil pressent de la lumière le bonheur
tout ciel se méfie de la croyance au sacré
et l'homme continue à espérer et créer
pour une personne qui soupçonne
le bleu dans le ciel
ou la chaleur
du soleil sur un grain de peau
c’est un souffle qui disparaît dans le feuillage

Photo : Edmund Charles Tarbell, « Le voile bleu », 1898.

Il faut plus d’une fois écouter l’océan #361

l’océan parle ainsi je suis l’eau toi sur terre
la goutte devient une vague le langage coule des yeux
soudain la goutte permet de voyager nombreux
le langage planétaire a construit des bateaux
son pouvoir de détruire a réchauffé les eaux
les courants n’atteignent plus les rivages incertains
et sombrent horriblement dans l’ignorance des mots
les larmes aveugles se battent sur ton visage détruit
le sel brûlant fera briller tes yeux de peur

Photo : Alex Katz, « Paul Taylor Dance Company”, 1964.

Il faut plus d’une fois observer sans comprendre #360

à la croisée de deux saisons 
en un instant nous basculons
culbute arrière dans un hivers
qui oublie de se présenter
roulade avant sur l’éclaircie
que l’on attendait loin d’ici
et plus l’attention est portée
sur l’élégance dans les nuances
plus les rouages traversent les âges
sans que leurs secrets ne dérangent

Photo : Pierre Bonnard, « Les Danseuses », 1896.

Il faut plus d’une fois essayer tous les rythmes #359

et dans cent ans 
je danserai
la jeunesse qui ne s’en ira
qu’en sautillant
ensevelir
sa vieillesse sous un sage sourire
de nouveaux songes
rêver en grand
sans déranger le voisinage
préoccupé
normalité
par ce qui rythme régulier
je partirai
en staccato
pour tirer la langue à la valse

Photo : Henri Matisse, « Danseuse assise sur une table, fond rouge », 1942.