Nadège Night and Day #6

Dans le train du retour sur Paris, je suis gagnée par la tristesse parce que je n’aime pas les fins. Je n’aime pas que les choses finissent, pas plus qu’elles ne se compliquent, j’aime ce qui dure et ce qui est simple, alors pour ne pas déprimer le dimanche soir je continue à chanter à tue-tête tout en programmant mon entraînement selon les prévisions météorologiques, je m’endors tard. Pour ne rien compliquer, ni la pluie ni la neige ne sont encore prévus, je peux continuer à rouler. Pour se lever à 6h, il suffit de ne pas réfléchir au moment du réveil, l’instant d’après je suis sur deux roues sans même connaître la température et je roule mécaniquement vers les bassins, une fois sur place tout est plus simple, la routine se met en place et je me cale sur elle, je fonctionne. Les objectifs de la semaine me proposent un fractionné court de 6×500 et un fractionné long de 3×2000, puis deux footings qu’il me tarde de réaliser pour retrouver un certain volume de run, de l’autre côté je suis invitée à enchaîner autant de fois que je le souhaite une séance de natation de 1800m, une sortie vélo d’une heure et une sortie course à pied d’une heure, sympathique. Lundi matin, ma priorité est au renforcement musculaire pour poursuivre l’affutage dont je ne sais toujours pas quand et si je verrais un jour le résultat, sinon au niveau des courbatures, j’enchaîne avec des accélérations sur le tapis de course et je finis dans le bassin extérieur pour 1500m de natation alors que le jour n’est toujours pas levé, la nuit l’emporte encore largement. Au moment de retourner aux vestiaires, le maître-nageur me félicite pour cet enchaînement, pourquoi j’en viens à lui parler de la partie vélo qui m’attend encore, je ne sais pas mais ses encouragements me flattent de si bon matin, après tout c’est la première personne à qui je parle. En privilégiant les détours sur le trajet du retour, je parviens à 45mn de vélo, la fameuse séance qui m’avait manquée la semaine dernière mais qui n’était plus du tout au programme du jour. Le lendemain, ma montre m’indique à l’issue de la séance de fractionné court que j’ai battu un nouveau record de VO2 max, j’en attribue le mérite au week-end chorale dont je sens les bienfaits en ce début de semaine, je continue à chanter à tue-tête Brassens et Over the Rainbow en pédalant parmi les décorations de Noël éclairées dans la capitale rien que pour moi avant 7h. Je reprends la direction de la piscine à vélo mercredi matin et je nage un peu plus de 1800m, avant le premier footing pendant la pause déjeuner, je fais le tour de mes deux stades de 400m, je ne l’avais pas fait depuis que le pass est demandé, depuis les confinements, depuis longtemps. Mon deuxième triathlon maison de la semaine est fait, 2500m natation, 20km vélo, 7km course. A peine l’idée selon laquelle cet hiver semble être le plus doux à passer depuis belle lurette traverse-t-elle mon esprit, en même temps les années précédentes ont été plutôt assez atroces, que je me rends compte de mon erreur puisque l’hiver n’est pas même encore advenu, illusion ! Le sportif amateur est le nouveau poète, qui parle de la pluie et du beau temps en tout lieu toute heure, les jours rallongeront à partir du mardi 21 décembre à 16h57, solstice d’hiver, ivresse.

Comment je ne suis pas (encore) devenue championne olympique de marathon #20

Dernier jour des vacances, je finis ma troisième série avec trente minutes de musculation, je retourne sur le tapis de course pour monter sous les quatre minutes au kilomètre, j’ai le vertige lorsque le tapis s’arrête et qu’il faut poser un pied sur le plancher des vaches, j’ai couru 13’33. Je vais m’allonger dans le bassin d’hiver et je m’endors, je suis surprise de me trouver au bord d’une piscine en me réveillant ici plutôt que dans mon lit, il s’est écoulé quelques minutes. Pour conclure, je me laisse glisser dans la ligne devant moi et je nage mille mètres tranquillement. J’ai déjà hâte d’être à ce soir pour retrouver Nath dans notre jap traditionnel et la lui présenter. C’était hier aussi la dernière diffusion de la saison 16 de l’Amour est dans le Pré, pas de hasard, j’y ai participé et je me souviens avoir dit à plusieurs reprises à Delphine que cette expérience m’avait donné envie au seuil du printemps de renouer avec le rapport de séduction, plaire à nouveau et me savoir choisie, sentir à nouveau les papillons frétiller, mon cœur battre plus fort, construire une cathédrale d’émotions sur la base d’échanges infinis et d’une complicité fluide. J’ai adoré regarder l’émission tous les lundis soirs, j’avais une certaine tendresse pour cet agriculteur qui a vécu sa première histoire d’amour et son premier rapport sexuel à 43 ans, je me rends compte que je ne me suis moi encore jamais réveillée le matin de Noël avec quelqu’un. Quand elle m’a proposé, suite au premier trail de jour, mon seul l’année, d’en courir un la nuit, en me proposant le gite et le couvert au passage, je me souviens qu’une petite voix en moi m’avait dit pourvu qu’elle te saute dessus, alors que rien du tout ne laissait présager de rien d’autre qu’une course dans la boue, le froid, frontale à l’appui et bonnet pour parfaire le ridicule. Pourtant, et sans en avoir pris conscience moi-même, j’avais un besoin de complicité et d’échanges depuis des semaines, des mois et des confinements entiers, cela devait se sentir tant j’ai adoré croiser à nouveau les gens du club et de la chorale, ne plus avancer seule trop vite parce qu’ensemble on va plus loin, en embrassant de nouveaux horizons, en se projetant là-bas tout en profitant à chaque instant de l’ici et maintenant, j’en découvre la saveur spéciale à deux. J’aimerais trouver la formule magique du bonheur pour la partager au plus grand nombre, sans penser forcément que c’est à l’instant où l’on y croit plus, en dépit de tout espoir littéralement, au moment d’abandonner parce qu’à force de s’être acharné en dépit de tout bon sens, presque par désespoir, alors justement qu’il n’y a plus rien à vivre que tout arrive, mais c’est bien ainsi. Et cela n’arrive pas en raison d’une léthargie avérée, rien à voir non plus, absolument pas, mais parce qu’en ayant tout essayé et fourni les efforts jusqu’au-delà de la limite qu’on se connaissait, depuis une patience surhumaine jusqu’à un sens inédit de la compréhension par empathie, en passant par des accès de folie et de colère, quelques pointes d’humour et des abimes de perplexité, une intention s’est manifestée et le plus naturellement du monde elle s’est réalisée. Je ne suis pas devenue championne olympique de marathon et je ne le serai jamais, je m’efforce chaque jour d’être à la hauteur de ce podium de sentiments et de confiance qu’est l’amour.

Comment je ne suis pas (encore) devenue championne olympique de marathon #19

Dernier jour d’un mois de novembre que je n’ai pas vu passer tellement son intensité et les découvertes merveilleuses qu’il m’a offert m’ont happée toute entière, j’ai écrit tous les jours. C’est aujourd’hui aussi que Joséphine Baker entre au Panthéon, celle dont j’ai souvent l’air « J’ai deux Amours… » ou encore « April in Paris » en tête, j’ai encore lu son histoire illustrée dans l’excellent « Culottées » de Pénélope Bagieu ce week-end parce qu’elle figure juste avant l’histoire consacrée à Tove Jansson, dont nous voyons le biopic ce soir pour clore le festival, les préparatifs du jour J ne nous ont pas échappé quand nous avons gravi samedi la rue Soufflot. J’imagine qu’au Panthéon, tous les résidents jubilent à l’idée d’accueillir une artiste et militante qui ne va plus jamais les laisser dormir en paix, c’est en tout cas ce que j’ai très envie de croire, et je suis ravie qu’à l’occasion de cet événement la jeune génération en apprenne plus sur elle. J’ai profité des beaux jours pour rouler un peu et en passant à l’atelier vélo de mon Décathlon à Madeleine, on m’a orienté vers celui qui pourra changer le cintre de mon vélo de course, l’échéance du 22 mai avec le half-Ironman d’Aix-en-Provence est dans moins de six mois. C’était l’un des objectifs de vacances, l’envoi d’un colis aussi, je suis en mode fêtes de Noël. Mon nouvel atelier vélo me répond qu’ils assurent ce type de prestation, je suis la bienvenue au magasin, en sautant de joie je tombe nez-à-nez avec ma médaille du Frenchman que j’ai couru le 3 octobre, je ne m’étais jamais aperçue que la médaille est gravée avec la date du 22 mai… Il y a un mois, le 31 octobre, j’aurais pu gagner un dossard pour le marathon des Jeux Olympiques de Paris en 2024, c’était d’autant plus facile que le sas le plus lent m’avait été attribué d’office, sauf qu’en dépassant les meneurs d’allure au bout de 2km, le champion Eliud Kipchoge partant 19mn après notre sas, tout était fait pour que je reparte avec ce dossard donné. Ce jour-là, j’ai pu parler avec elle de ce que j’avais sur le cœur, je ne suis pas allée récupérer mon dossard la veille parce qu’il pleuvait, que j’étais déjà rentrée la veille sous une pluie battante et à vélo, la panne de mon radiateur me pesait, et puis je ne comprenais pas pourquoi on m’avait attribué le sas le plus, je ne savais pas que j’aurais pu aller plus vite, je n’avais pas encore compris que, pour une raison que je ne saurai pas, j’avais accès direct aux JO de Paris. Et le fait de lui en parler m’a permis de comprendre que je confondais crânerie et réelle fierté, je lui ai expliqué pendant un après-midi entier ma démarche d’en découdre avec la musculation et mon objectif, totalement surréaliste, de décrocher un slot pour les mondiaux d’Ironman 70.3 d’ici quatre ans, son enthousiasme et sa joie n’ont fait que me conforter dans ce qui était évident. J’ai participé à mon premier half-Ironman en 2021, j’en ajoute un deuxième en 2022, celui ’Aix-en-Provence, en 2023 un 3e dans ma logique, j’imagine que ce sera Vichy, Nice en 2024.

Comment je ne suis pas (encore) devenue championne olympique de marathon #18

Je finis ma deuxième série de triple effort pendant mes vacances le samedi matin avec quarante minutes de renforcement musculaire, j’avais déjà noté qu’un trajet paraît toujours plus court à mesure qu’on se familiarise avec chacun de ses segments, en serait-il de même pour une séance de fitness qui paraîtrait chaque fois moins longue à mesure que j’adopte les divers accessoires ? Je m’essaie même à la course sur tapis, j’ai l’impression de courir sur un trampoline, je plane, j’accélère jusqu’à tenir le plus longtemps possible sous les 4mn au kilomètre, je suis en nage et il ne me reste effectivement plus qu’à me détendre avec quelques longueurs de brasse, 1000m. Le bonnet de bain n’est pas obligatoire à Molitor, pour la première fois je nage sans et je laisse également mes lunettes dans la poche du peignoir, je ferme les yeux et je ressens tout plus fort. Deuxième journée entière de récupération dimanche, c’est jour de marché et ça tombe très bien. Après ma petite visite du haut de la Butte Montmartre mercredi, je veux lui montrer le bas de la Butte, mon village de Clignancourt auquel je tiens tout particulièrement, et il me semble que déambuler à la fin du marché, de long en large sur le boulevard Ornano, est une mise en ambiance d’autant plus pertinente que nous avions parlé de trouver des kakis à parfaite maturité. Les stands en regorgent, des kakis comme des clémentines, du cresson et des légumes d’hiver pour concocter les meilleures soupes pour se réchauffer après une sortie, les prix sont bradés, un stand propose ses produits à un euro le kilo, on aimerait tout pouvoir acheter et tout goûter. Plus loin, nous nous frayons un chemin parmi la clientèle de la Recyclerie, les gens sont en plein brunch et haussent la voix pour se faire entendre depuis les grandes tablées conviviales. L’appétit vient en marchant, nous rentrons préparer de quoi nous réchauffer le cœur et le corps. Enfin un film qui nous emporte dans sa construction et son intrigue, « Tre Piani » de Nanni Moretti nous laisse sans voix dans nos fauteuils en cuir de la salle 3 du cinéma Louxor à Barbès, le film se concentre sur les trois étages d’un immeuble dans lequel vivent trois familles dont nous suivons les aléas sur trois générations et chaque fois trois périodes séparées de cinq ans, comme les poupées russes l’histoire n’en finit pas de rebondir comme si le scénariste avait exploité toutes les pistes possibles jusqu’à ce que l’imagination soit épuisée et le public conquis. Nous parlons de partir à Naples, nous parlons du carnaval de Köln, elle me parle de la chanteuse Soko et des films d’Ozon, du conte de « La patte du chat », je sors des limbes d’un confinement profond, c’est en tout cas l’impression que j’ai lorsque je partage avec elle tout ce qui me tient à cœur et qu’elle me fait découvrir des univers dont je n’avais pas entendu parler encore, j’adore et je poursuis toute seule nos conversations, longtemps après l’avoir raccompagnée à la gare. Troisième et dernière série de triple effort en ce jour où je célèbre mon premier mensiversaire dans ce lieu d’effort et de plaisir, le temps est splendide et me permet de m’y rendre à vélo après une boucle de 7km de course à pied, je nage bonnet et lunettes à l’appui, je me sens alignée.

Comment je ne suis pas (encore) devenue championne olympique de marathon #12

Vacances, vacances enfin, envie de profiter de ce temps vacant pour tout pouvoir faire et surtout ne rien faire du tout, sinon profiter de tout ce temps devant moi pour en apprécier chaque instant. Si l’on m’avait dit que je commencerai cette période privilégiée en participant à un karaoké, jamais je ne l’aurais cru, et pourtant à l’occasion d’un rendez-vous pour préparer notre concert, il se trouve que nous sommes inscrites nous trois choristes pour chanter Zazie, J’envoie valser. Il suffit parfois de sortir le vendredi pour se sentir déjà loin, vraiment très loin de la semaine travaillée le samedi matin, c’est le sentiment avec lequel je me réveille lorsque je reçois son texto qui me dit qu’elle va courir, j’ai envie de changer mes habitudes et je retourne au stade, je n’y suis pas retournée depuis qu’un passe sanitaire est exigé pour y accéder, j’ai un objectif. Nice et son 10km au soleil, je dois me remettre au fractionné si je ne veux pas être ridicule, j’opte pour une séance de dix fois 400m comme je n’en ai encore jamais initié, alors j’accélère, des années lumières que je n’avais plus retrouvé cette sensation au moment de passer sous le seuil du 3’50 au kilomètre, lorsque je vois la vitesse s’afficher sur ma montre j’exulte sur place, cette même vitesse que j’ai atteint sur ce stade Max Roussié au moment de la fracture de fatigue. Pourquoi ce matin, après ce petit texto échangé pour partir courir en même temps, pourquoi aujourd’hui avant de profiter d’un week-end ailleurs qu’à Paris, pourquoi ce week-end après des semaines de compétition pour être un minimum à la hauteur, pourquoi maintenant alors qu’aucun enjeu à court terme ne me pousse à courir, pourquoi là maintenant tout de suite cet élan fou comme sorti de mon adolescence me pousse à tout donner jusqu’à l’étourdissement, j’écoute la musique à fond et dans mon fantasme je fais tout sauf courir, je brûle d’un désir fou. Je pars en vélo sans avoir bu un verre d’eau, j’ai regonflé les pneus parce que je sais que les chemins seront plus caillouteux qu’ailleurs et que je vais devoir redoubler de vigilance, de fait je connais le tracé par cœur jusqu’au parc de la Poudrerie et même après jusqu’à Claye-Souilly, mais pas après et le froid agissant sur mon cerveau je commence à croire que j’ai passé Meaux, je continue à pédaler en rase campagne sans plus rien connaître des chemins de halage qui me malmènent, je jongle entre la bouteille et les cadeaux que j’ai dans mon sac et le chaos sur la route qui semble vouloir me jeter dans le canal mais je tiens toujours bon, j’arrive à Trilbardou. Déjà, ce nom ! Deux fois, j’ai déraillé, pour une raison qui m’échappe je doute un peu du trajet. Alors je lui envoie un premier message sans avoir au préalable annoncé que j’arrivais à vélo. Ni une ni deux, elle me dit qu’elle met ses bottes et vient à ma rencontre sur le canal, je revis, je n’ai pas traversé quarante kilomètres dans la campagne pour rien, la direction est bonne, continuons, battons-nous contre les pierres qui me font dévier et mesurer ma fatigue physique, à un moment donné elle va apparaître devant moi et je saurai que je suis bien arrivée à bon port. Mes bras n’en peuvent plus de contrer chaque attaque de ce chemin de halage interminable, j’avance et soudain elle est devant moi alors je freine, je souris et je finis dans ses bras, heureuse.

Comment je ne suis pas (encore) devenue championne olympique de marathon #6

L’idée de me fermer au marathon des Jeux Olympiques de Paris est de rester concentrée sur mon objectif de progression dans les quatre années à venir sur la distance longue du triathlon. Celle de gagner malgré tout un dossard pour participer à la fête que seront ces Jeux dans la capitale devient un objectif collectif pour que le plus grand nombre de coureurs du club puisse avoir accès à ce rêve de courir le même parcours que les plus grands champions de la discipline. D’un côté donc, je retourne aux entraînements du club et je reste en contact avec les autres coureurs pour participer, à présent que c’est à nouveau possible, aux épreuves qui m’intéressent dès qu’elles se présentent, par exemple l’Ekide de Paris qui se tient le 7 novembre, un marathon couru en épique de six coureurs, je ne connais personne de mon équipe, ce qui est encore mieux, et je prends le dossard n°5, de l’autre je prends mon premier rendez-vous avec un coach fitness. J’arrive en avance, midi, j’attends le coach dans la salle de fitness qui me deviendra familière. Le temps est ensoleillé, ce qui a rendu le trajet à vélo plus qu’agréable, je mets moins d’une demi-heure et je m’installe, une fois changée, en profitant de la vue sur le bassin extérieur. Trois jours plus tôt, je suis venue profiter de la piscine en nocturne, il faisait déjà nuit et j’ai découvert le bassin éclairé de faisceaux multicolores tandis que la surface de l’eau chauffée fumait au contact de la fraîcheur, j’avais nagé un seul kilomètre mais inondée d’un bien-être fou, magique. Le coach me demande de lui raconter ma vie, ce que je fais de manière assez fluide et concise, j’ai un résumé et des objectifs tout prêts, il me propose un échauffement tout en parlant blessure et alimentations, j’ai l’impression de raconter toujours la même histoire mais de manière différente selon mon interlocuteur, dans le cas présent je sais que j’attends ses précieux conseils. La séance se déroule sur trois séries de trois exercices, chaque série est construite autour d’une machine, je fais ainsi le tour d’une salle qui ne me sera plus étrangère la prochaine fois, d’un passage sur tapis de sol, enfin d’un exercice d’altères de quatre kilos chacun, j’essaie de retenir. Lors de ma prochaine venue, il me faudra répéter la même série d’exercices dans le même ordre, je travaille les muscles du dos à travers deux exercices de traction, l’un vertical l’autre horizontal, puis l’équilibre en montant sur une sphère molle et instable, je ne m’en sors pas trop mal alors que je raconte comment récemment je suis tombée par deux fois de ma hauteur, j’enchaîne avec les altères de trois puis quatre kilos, allongée et debout, du gainage et la corde. L’intensité de la séance est progressive et je sens des muscles s’animer que je n’ai pas l’habitude de solliciter d’ordinaire, c’est à la fois réjouissant et épuisant, je suis lessivée au sixième passage de vingt secondes pourtant seulement sur la corde, mes bras sont du caoutchouc, je donne tout. Une heure plus tard, je sors de la salle avec de nouvelles sensations et une motivation à bloc, je refais toute la séance mentalement pour retenir les positions corrigées et les enchaînements l’hiver peut arriver, je suis parée pour l’affronter avec une armée de nouveaux gestes à travailler.

Comment je ne suis pas (encore) devenue championne olympique de marathon #2

Il y a trois ans, je participais au marathon des Gay Games, dans trois ans auront lieu les JO à Paris. En 2018, j’ai même pris le départ de trois marathons, un premier en avril, le traditionnel marathon de Paris qui court d’un bois à l’autre en passant par les quais à partir des Champs, puis le marathon des Gay Games qui avaient lieu à Paris cette année là où j’ai rejoint mon club, enfin le marathon d’Athènes sous l’impulsion de ce même club, les Front Runners de Paris. Deux marathons au moins sous le signe de l’olympisme, l’un pour sa politique inclusive et la chance qu’il donne à tous de participer à une épreuve quel que soit son niveau, faire un podium ; l’autre pour sa destination à l’origine des épreuves olympiques et de la distance d’un marathon. J’ai rejoint le club parce que je courrais depuis cinq ans en me blessant régulièrement, soit parce que je courrais trop ou mal, ou bien un peu des deux, rupture du tendon d’Achille, entorse et fracture du bassin, je ne savais pas encore que j’allais surtout y découvrir l’épreuve de triathlon en devant bénévole le premier week-end des Gay Games, il faisait très chaud, l’eau était à 26°. Cette journée de bénévolat m’a marquée davantage que celle de mon épreuve de marathon le week-end suivant, le même jour que la cérémonie de clôture, il me fallait aussi nager et rouler. J’ai pris des cours de natation, parce qu’alors je me croyais une grande nageuse à braver les vagues et les kilomètres chaque été sur mon île de Tinos, en vérité je ne nageais pas le crawl, et j’ai fait l’acquisition d’un premier vélo, Spring, un gravelle mono-plateau pour rouler partout. Partout et vraiment n’importe comment puisque trois jours après le marathon de Paris en 2019, j’inaugure mon nouveau destrier pour une première sortie de soixante kilomètres sur les bords de Marne sans changer de vitesses une seule fois, pas du tout par défi mais simplement par manque de pratique et de bon sens, j’ai donc commencé à pédaler comme je courais, en forçant. Et j’ai appris à nager comme je roulais, en moulinant des bras cette fois plutôt que des pieds, sans chercher à améliorer une technique dont je n’avais pas conscience à quel point elle est essentielle pour progresser dans n’importe quelle discipline plutôt que la pratique acharnée, j’ai bu la tasse et hurlé dans ma ligne de 50m quand tous les autres nageurs me semblaient évoluer avec une facilité qui m’échappait, j’ai persévéré et nagé tous les jours en attendant un déclic. Les déclics n’existent pas ou alors en version microcosmique et qu’il faudrait activer à nouveau dès l’instant d’après pour être certain d’avoir pris conscience du déclic et de profiter de ses bienfaits en ne cherchant plus à comprendre mais juste à se laisser porter et emporter par les progrès acquis à force non seulement de pratiquer, encore et encore, mais peut-être surtout à force de mentaliser chaque mouvement, celui qui précède et celui qui suit, qui devrait suivre un jour sans même plus avoir à y penser, avec une fluidité idéalisée, un gain de légèreté vitale. Dans le même mois de laborieux apprentissage de la nage crawlée, j’ai participé à mon premier triathlon XS, 400m de natation en piscine, 6km de vélo d’appartement installée au bord du bassin, le tour du pâté de maison en mode sprint malgré le dénivelé du quartier de la Mazouïa. J’ai décroché mon premier podium ce jour-là et mon ticket d’entrée pour le stage de triathlon. Si l’épreuve de triathlon olympique avait été ouverte au grand public pour les Jeux Olympiques, à aucun moment je n’aurais douté au moment de faire la queue pendant une heure sous la pluie.

Direction Etoile #49

Trois semaines que je n’étais pas retournée nager, le tatouage de mon dossard a disparu. Les températures dégringolent dangereusement en ce premier mois d’automne, si bien que celle du bassin m’offre l’occasion de me détendre dans l’eau bien mieux qu’ailleurs. Nouvelle saison, nouveaux objectifs, je veux gagner cinquante minutes sur un triathlon longue distance et sur la base de la dernière épreuve, et pour cela je n’ai pas d’autre choix que de passer un hiver au régime musculation et coaching avisé pour tout changer. L’espace Molitor, depuis le temps que j’entends parler de ce lieu et que je l’envisage, un dimanche je pars à vélo en quête de l’endroit pour le voir en vrai, qu’il sorte de la mythologie dans lequel j’ai enfermé cette sublime piscine ouverte en 1929, bassin extérieur de 50m, avec des galeries tout autour comme la piscine des Amiraux chez moi. J’avais bien raison de partir en repérage, l’adresse indiqué par le gps ne correspond pas du tout à un espace quelconque, je me retrouve au mieux devant un garage et non loin du métro Molitor, je n’ai pas vu la porte Molitor après celle de la Muette, je m’inquiète et je demande à une passante de m’orienter, elle me désigne un point au loin, très loin, de l’autre côté du boulevard des Maréchaux et du périphérique, je reprends donc la route. Il me suffit de traverser à nouveau le carrefour pour reconnaître le point d’arrivée ce jour de canicule à l’ouverture des Gay Games au stade Jean Bouin tout proche, je lève la tête et je découvre face à moi un bâtiment si étrange, tout jaune, que je me sais arrivée. Molitor, le fameux Molitor. L’entrée vers l’espace se fait sur le côté adjacent, je repère. J’y retourne deux jours plus tard, j’ai rendez-vous cette fois, en pleine journée boulot, je me suis organisée pour y aller à vélo également et profiter pleinement de ma visite. J’ai eu le temps d’apprendre toutes les pages du site Internet par cœur, je connais les horaires et les différents menus, j’écoute attentivement les explications en lorgnant sur ce bassin extérieur qui me fait envie, je découvre l’autre bassin, enfin la salle de torture. Au moment de l’éventuelle inscription, et à la surprise de mon interlocutrice, j’ai apporté tous les documents pour finaliser mon abonnement, elle ose me demander si j’ai aussi mon maillot de bain sur place pour commencer à profiter tout de suite des espaces, mais je dois déjà repartir et je me promets d’y revenir la prochaine fois pour rester bel et bien. Trois jours plus tard, il ne pleut pas encore, je gare à nouveau mon vélo dans le trop petit emplacement dédié aux deux roues à côté de la porte, je récupère une carte et suit le chemin indiqué lors de ma visite précédente pour accéder aux vestiaires, je déambule un peu partout dans ce dédale aux innombrables possibilités, j’envisage les scénarios, puis je me dirige vers le grand bassin extérieur et je reste perplexe à en admirer la vue. L’eau est chauffée à vingt-huit degrés, je pars sur 3000m sans me rendre compte de l’effort, consciente de mon bonheur d’avoir trouvé ici mon lieu d’hibernation cet hiver.