Vichy #25

Je sors en boîte à neuf heures du matin, disons que je roule en boîte la musique à fond sans avancer, vous avez deviné ma prochaine expérimentation en tant que cycliste concerne le RPM, rouler un maximum de tours en se laissant entraîner par le rythme, la coache, les autres, tout ça. Quand je parle de sortir en boîte et danser, je ne suis pas si loin de la réalité puisque la majeure partie de la séance se passe en danseuse au-dessus de la selle pour mieux appuyer sur les pédales, comme font les cyclistes lors d’un sprint, savoir se déhancher sur un vélo est tout sauf évident, c’est une énergie follement exaltante à regarder et je voulais essayer, d’abord à l’arrêt. La séance dure quarante-cinq minutes à une heure entière en alternant intensité et récupération, il s’agit de travailler la puissance musculaire en augmentant progressivement la résistance du vélo, c’est-à-dire qu’il devient de plus en plus difficile de pédaler à mesure que la séance progresse vers l’ascension d’un Everest virtuel certes, je suis toujours enfermée dans une boîte, mais explosif en terme d’expérience mentale et physique, je me vois souffler de vraies flammes. Bien sûr pour se sculpter un vrai corps de danseuse, il faudra davantage opter pour le Pilâtes, d’ailleurs je sors tellement rincée de cette première séance de RPM que je me demande si je ne vais pas changer d’objectif pour l’année prochaine et viser le niveau intermédiaire en Pilâtes plutôt que la montagne Bourbonnaise sur 180km de dénivelés, franchement le Full c’est surfait. Sur ce, je me suis laissée tenter par une séance de Body Balance, c’était si doux de me laisser bercer par la voix qui disait quoi étirer et comment me détendre qu’au moment d’éteindre la lumière pour finir le cours par un peu de relaxation, sur mon tapis volant je me suis assoup(l)ie.

Photo : Fernand Léger, « Les quatre cyclistes », 1943-48.

Vichy #14

J’ai été enfin projetée directement dans la montagne bourbonnaise du parcours vélo de l’Ironman Vichy 70.3, à savoir 90 km et 1000m de dénivelés, au moment où Vincent m’a confirmé que la natation était annulée à cause de la pollution du lac de l’Allier suite aux récents orages, et en effet depuis les quais l’eau ne donnait pas envie du tout de se frotter à ses courants. Mon camarade de club était également aligné aux Sables mais je n’avais pas eu la chance de le croiser, il me retrouve dans la queue au moment de retirer mon dossard, tout joyeux et heureux. Je n’étais pas non plus déçue de ne pas nager, pour cette saison mon quota d’algues est atteint. Le départ de l’épreuve s’est déroulé comme celui d’un contre la montre à vélo, soit un départ de quatre concurrents toutes les sept secondes par ordre de dossard, le numéro étant attribué par ordre d’arrivé au point de retrait, pour moi le vendredi et non le jeudi, j’étais dans les derniers. Je suis donc partie à 8h17, dix minutes après Laurent Jalabert, reconverti au triathlon pour sa retraite du cyclisme, et qui au micro de l’animateur a fait la bourde d’affirmer que sans la natation il ne s’agissait plus d’un triathlon, on l’a vite laissé partir pour rectifier le tir et préciser que si, notre épreuve consistait toujours en un triathlon simplement amputé de la natation, point. Pendant les premiers kilomètres de vélo, j’ai retourné la question dans tous les sens pour savoir ce qui distinguait un triathlon sans natation d’un duathlon, sinon la préparation puisque la natation demande beaucoup d’entraînement pour savoir nager longtemps sans trop se dépenser. Puis la première côte est arrivée avec 6% d’effort sur plusieurs kilomètres, je n’ai plus réfléchi. J’ai chevauché mon vélo sur le dénivelé et les virages comme si la fin de la pente signifiait un décollage vers la destination satisfaction à vie et reconnaissance éternelle, j’ai tout donné, tout. Et c’est à ce moment-là qu’un petit malin, dont j’apprendrai pour l’attendre sur la ligne d’arrivée qu’il s’appelle David, m’a interpellée en me demandant si j’étais fâchée avec le petit plateau, eh bien non mais voilà, les quelques fois où je m’y suis essayée comment dire, j’ai déraillé. Bien sûr, je ne réponds pas, je poursuis ma progression et j’arrive à bout de cette première côte sans être au bout de ma vie non plus, heureusement il en reste trois devant moi et un semi-marathon à courir, je suis plutôt contente et surtout, les paysages au sommet sont sublimissimes. Je ne sais plus à quel moment nous passons pas Saint-Yorre, mon eau préférée entre toutes. Toujours est-il que la deuxième côte est interminable, une succession de côtes suivies de plats et de retours en côte sans savoir vraiment s’il y aura une fin à ce calvaire, je récupère en plat. Bien sûr aussi, je me pose la question de savoir si je m’essaie au petit plateau, mais non hein. Nouvelle rencontre, Arthur m’encourage en pleine montée, je le trouve adorable et l’encourage à mon tour avant qu’il ne s’éloigne, nous nous retrouvons quelques kilomètres plus loin, il descend plus vite que moi, je le double une dernière fois en montée, on se promet une bière. Arrive la troisième côte et pour le coup la pire, celle du village du Mayet-de-Montagne, pareille aux cols que l’on voit lors du Tour de France avec des lacets en enfilade, j’y vais, j’enfourche. Et je fais une dernière rencontre, comme si je donnais envie que l’on me parle en plein effort. Cette fois-ci, le type est clairement frustré que je le double en plein ascension, je me dis qu’il est en train de plaisanter mais non, il semble me reprocher d’avoir motorisé mon bolide de vélo. Eh non, mon gars, tu le vois mon visage trempé de sueur et la buée sur mes lunettes, je souffre. Plus personne ne vient me solliciter sur la quatrième côte et c’est tant mieux, j’ai hâte d’arriver. Qui vient me saluer pendant la transition course à pied alors que je change de chaussures ? Arthur, que je croise une dernière fois dans les trois derniers kilomètres avant la ligne d’arrivée. Le semi-marathon n’en finit pas de dérouler les berges de l’Allier sur des kilomètres infinis d’un parcours que je ne parviens pas à courir faute de jambes, j’ai tout laissé sur le vélo, tout, je finis en deux heures en évitant les crampes et la douleur, j’ai eu mes quatre cols et c’est tout ce qui m’importe, avec la médaille évidemment alors je m’accroche pour aller la chercher, Vincent me croise au moment de la dernière ligne droite, il est aussi lessivé que moi et hilare. Et pour finir avec ce fameux David, nous courons le dernier kilomètre ensemble, il s’excuse pour sa boutade et me donne des conseils pour utiliser le petit plateau la prochaine fois tout en me félicitant pour mon temps en vélo dans ces conditions, 3h15, comme aux Sables avec côtes.

Vichy #12

Paris un lundi 15 août. S’il y a bien un jour et un seul pour rouler à Paris c’est celui-ci, qui plus-est il n’y a absolument rien d’autre à faire dans la capitale, c’est morte plaine aux quatre coins. Je pars peu après 9h30 pour Molitor en faisant un crochet par la direction opposée pour rendre des lunettes oubliées sur l’île par ma nièce, sacré détour puisque j’arrive après 25km au lieu des 10km habituels, je pars pour Bastille pour profiter de la piétonisation du canal Saint-Martin. Pour tracer, je trace. C’est presque inquiétant de voir si peu de monde aujourd’hui sur les quais. Hier la pluie a précédé un gros orage en fin de journée, enfin la fraîcheur est de retour et rien n’est plus agréable en roulant, j’arrive pile à 10h à Nation et repars aussitôt pour récupérer les quais de Seine, le bon côté cette fois-ci, au niveau du Pont d’Austerlitz et comme je m’y attendais je croise le petit groupe des Front Runners en pleine sortie de jour férié sur les quais. Je retrouve le tunnel des Tuileries et l’effet du Street Art qui défile à vélo est plus impressionnant encore qu’en courant, je roule en plein clip avec tout un tas de musiques en tête. Contrairement à samedi, je ne remonte pas vers le Nord mais poursuis ma traversée de Paris vers l’Ouest sur cette piste cyclable qui offre la plus belle vue de la Tour Eiffel, majestueuse, j’ai l’impression d’être seule aujourd’hui pour l’admirer alors je le fais pour toute la foule en moi avant de poursuivre vers la piscine Molitor, deux vélos sont garés devant, je n’y crois pas. Molitor un lundi 15 août, le bassin d’hiver fait sa vidange annuelle, je l’avais pourtant bien lu. A moi les joies du bassin d’été parmi les pataugeurs, je me faufile parmi les gens debout dans l’eau jusqu’à ce qui n’est pas une ligne mais que j’initie comme tel en m’accaparant le lieu, plus personne ne vient s’accrocher à la corde à moins de recevoir un coup, pardon mais je nage. Je nage tant est si bien même – ah ce bassin d’été où j’ai passé tout l’hiver seule à l’extérieur -, qu’en regardant ma montre une première fois il s’est déjà passé 2000m crawl et brasse alternés. Un cours d’aqua-bidule sévit au niveau des marches du bassin d’été, musique à fond, ambiance. Je reprends le vélo en direction de l’hippodrome de Longchamp pour le trajet retour sur 15km, soit un total de 40km sans que la pluie ne tombe ni la circulation ne reprenne, à moi la liberté.

Photo : Fabrice Hyber, 2021 (exposé actuellement à la Fondation Cartier, Paris).

Vichy #10

Longchamp le retour, à une semaine de Vichy ce n’est pas du luxe, je ne suis pas prête du tout. Pour l’instant c’est la canicule qui accompagne mon parcours et non pas le dénivelé de côtes à 6%, mon dieu quatre côtes sur un même parcours, mais par quel miracle arriver jusqu’à la ligne. Comme la veille pour aller à Molitor, je privilégie les bords de Seine à partir de Clichy pour éviter la circulation et profiter de la fraîcheur toute relative, c’est une succession de ponts qui m’amène de manière plutôt fluide et agréable vers la boucle où très peu de cyclistes roulent. J’effectue sept tours dont les deux derniers en forçant parce que je perds déjà de la vitesse au bout d’une heure, je me vois dégringoler dès la première côte en arrière et mettre pied à terre. Rien ne sert de paniquer, oui le guide du triathlète parle d’un parcours corsé, mais boisé aussi… Je rentre de ma sortie très satisfaite, le plus dur était d’y retourner, le plus important de prendre du plaisir et c’est exactement la même chose pour l’Ironman de Vichy, c’est une nouvelle course à découvrir avec ses paysages et son organisation, l’émotion sera forcément au rendez-vous. Nouvelle découverte aussi, deux piscines parisiennes pour écouler les tickets valables jusqu’à la fin du mois d’août, à commencer par Roger Le Gall et son bassin extérieur de 50m, j’opte pour la ligne réservée au crawl et je profite de la lumière du soleil comme si j’étais dans mon bassin d’été avec un peu plus de monde que d’ordinaire, c’est une séance détente et vacances. La deuxième piscine au bord du Canal de l’Ourcq, Rouvet - oui j’ai tout misé sur le « R » et si je devais adopter un chat je l’appellerais probablement Rouky -, est un bassin intérieur de 33m avec cabines sur deux étages de galeries, exactement comme la piscine classée des Amiraux. Bref, je fais ma touriste à Paris et m’endors au parc des Buttes Chaumont, au réveil Virginie Despentes est en terrasse à l’entrée Rosa Bonheur, en pleine promotion de son nouveau roman.

Photo : Marc Chagall, "Paysage vert", 1975.

Vichy #9

Tout est plus doux depuis le retour de l’île, courir sans s’écharper contre la violence du vent, nager sans se noyer quand les déferlantes vous poussant à voir le grand bleu d’un peu plus près, même rouler dans la circulation parisienne me paraît civilisé sans les camions et le ravin voisin. Ce que j’ai préféré par-dessus tout là-bas, bien plus que courir nager ou rouler, c’était de trotter pendant trois quatre heures, tous les deux jours, par des sentiers escarpés plutôt très bien balisés. J’étais seule parmi des troupeaux de biquettes sauvages, abandonnée aux figuiers et à mes rêveries et je ne pouvais compter que sur moi, me faire des frayeurs aussi sans perdre la face, et surtout profiter de paysages renversants de beautés, bouleversants comme il n’est pas possible d’en voir sur le littoral, particulièrement après une marche difficile, quand l’étonnement est là. Ce bonheur toutes ces heures de n’être plus connectée à rien ni personne sauf à soi, à l’instinct. Impossible d’être seule au stade, pourtant lorsque je m’élance ce matin après huit heures, il n’y a personne d’autre sur la piste, mais les ouvriers œuvrent pour les Jeux Olympiques et les gardiens à l’entrée font des aller-retours de l’intérieur vers l’extérieur pour faire quelque chose, et c’est pire encore lorsque j’enfourche le vélo juste après pour rouler vers Molitor en empruntant pourtant les quais de Seine pour éviter le grondement autour de l’Arc-de-Triomphe. Mes escapades sauvages ont dû payer parce que j’ai un coup de pédale efficace et sans forcer. Molitor, il fallait oser s’y aventurer un mercredi en plein mois d’août, je me vois repartir en courant mais j’en profite quand même pour récupérer une grande serviette bleue et blanche offerte à tous les adhérents, la responsable de l’accueil s’étonne que je ne l’ai pas déjà prise, vous savez la plupart de nos clients se sont rués début juillet pour l’avoir – ah oui, oui mais non. Comme prévu, le bassin d’été ressemble à un centre commercial immergé dans ce qui devait ressembler à une piscine il y a encore deux saisons, quand j’y nage en plein hiver et ça date, mais dans laquelle il n’est en l’état pas possible d’effectuer un mouvement qui serait de la nage. Je m’approche en deux pièces du bassin d’hiver, je ne trouve plus mon maillot une pièce et après tout c’est encore les vacances, miracle une ligne n’est pas prise, celle du milieu, j’y vais. Impossible tout de même de nager seule, je suis cernée de gens en maillot de bain (est-ce qu’ici aussi l’habit fait le moine ? Pas sûr) allongés sur des transats, oui dans le bassin d’hiver fermé, qu’est-ce que tu as prévu de faire de beau toi, mercredi ? Oh, faire la sieste en maillot à Molitor. Comme si la première vague allait déjà m’emporter vers la rive d’où je tente de m’éloigner, mes mouvements sont plus amples, moins précipités, c’est flagrant comme de crier trop fort, forcément le plaisir s’en trouve décuplé par une sensation de glisse qui porte plus loin en moins de mouvements, je ne vois pas passer les 1500m, j’aurais pu continuer si je n’avais pas si faim. Premier triathlon maison de la rentrée en ajoutant à la natation les 30km de vélo, 7km de course, les figues en ravitaillement naturel et immédiat m’auront cruellement manqué aujourd’hui.

Photo : Henri Matisse, "Nu bleu, la grenouille", 1952.

Vichy #6

Dix jours déjà depuis Les Sables je n’ai pas commenté le semi par lequel j’ai fini l’épreuve sous un soleil accablant dans une forme qui m’a surprise en une heure et cinquante-cinq minutes. Lorsque j’arrive au parc vélo récupérer le mien, le soleil a tapé et j’ai besoin de m’hydrater, mon vélo aussi qui s’est acoquiné avec le voisin, guidon contre guidon, je m’approche et dis à voix haute Tu dis au revoir et on y va, je prends mon vélo, un autre cycliste me toise du regard. Je suis retournée courir sans courbature, j’ai nagé pour me détendre et roulé pour aller nager, mon vélo est prêt ce soir à repartir à Longchamp, on me dit de prendre mon temps et profiter des gens, une bonne récupération fait partie intégrante de la préparation à suivre, Vichy s’approche à grandes foulées avec sa montagne bourbonnaise et je ne connais pas l’étymologie. En revanche, je me suis inscrite aujourd’hui à l’épreuve de Nice pour l’année prochaine, c’est la dernière des quatre et la plus célèbre, la course ancestrale en France avec son col de Vence, mon cher et tendre village de Saint-Paul versant sportif et non plus romantique et artistique. Comme après chaque épreuve longue distance, je sens que j’ai franchi un cap dans chacune des disciplines, y compris le slalom infernal à vélo dans la capitale comme si je pouvais prendre davantage de risques, protégée par une immunité qui n’existe pas mais m’autorise à franchir tous les feux, accélérer quand tous les moteurs vrombissent de m’écraser si je passais, je passe. Mais je n’aimerais pas ne plus me réveiller le matin pour commencer la journée par écrire, vite avant de partir courir pour que mon texte ne me rattrape pas non plus depuis son entre-lignes.

Photo : Georges Braque, « La Bicyclette », 1961.

Vichy #5

Sur le tapis rouge, cela ne se voit pas devant la caméra et encore moins de dos, je rampe. Le soleil, le sel et le vent ont eu raison de mon énergie au bout de six heures et cinq minutes d’effort, que dis-je de triple effort, cinq petites minutes qu’évidemment j’aurais voulu éviter. Seulement voilà, j’ai toujours un peu de mal à trouver mon souffle dans les premières minutes de mise à l’eau même si je ne panique plus, j’ai sans doute encore trop tendance à admirer le paysage défiler devant moi et cela sans regret, enfin je me suis arrêtée aux deux derniers ravitos. Toujours est-il que j’ai fait mieux que l’année dernière et avec un bonheur décuplé parce que je savais où je mettais les pieds, j’avais déjà mes repères sur le remblai, j’étais un peu chez moi. Le réveil n’a pas eu besoin de sonner à quatre heures du matin, j’étais déjà en train d’énumérer toutes ces petites tâches mises bout à bout dans l’ordre le plus efficace et qu’on appelle logistique, j’ai ouvert la fenêtre et les premières mouettes m’ont souhaité beaucoup de courage. Je suis arrivée dans un silence total au parc à vélo pour 5h30 et au moment d’en franchir l’entrée, le speaker nous souhaite le bonjour, je me dis que j’étais alignée, il enchaîne par une interview en direct de Charlène Clavel, du club des Sables d’Olonne, qui finira sur la troisième place du podium, je m’y reprends à deux fois pour gonfler les pneus de mon vélo, tout le monde arrive. Nous sommes quelques centaines à présent à marcher vers la plage tandis que le ciel décline toutes les nuances chaudes des couleurs orange et rouge, c’est un spectacle fascinant, unique. Il est 6h34 lorsque le speaker prend à son tour le micro, c’est le numéro de mon dossard, 634. Une heure plus tard, le départ est donné à mon groupe d’âge et le goût salé de la mer me donne des frissons de joie, la bouée qui marque le virage vers le chenal me paraît cette année moins loin et lorsque je me trouve entre les deux phares, je sais qu’il reste une longue ligne droite à parcourir sans réel besoin de regarder devant sauf à dévier, je peux donc nager en trois temps. Bientôt, la vague des hommes les plus jeunes aux bonnets roses nous rattrape, j’essaie de garder ma respiration et mon calme, ce n’est pas comme si je nageais dans le canal plein d’algues. Quand je sors de l’eau, je sais que le meilleur est à venir et, contrairement à l’année dernière, je trouve mon vélo tout de suite dans l’impressionnant parc à bolides, le temps est au beau fixe, c’est parti pour une série de faux plats sur tout le trajet, il faut relancer sans cesse, je me régale. Je ne peux pas ne pas me dire que j’aurais dû rouler davantage, retourner à Longchamp plus tôt et cesser d’appréhender les sorties vélo sur Paris sauf que la veille j’ai eu la bonne idée de m’abrutir devant un documentaire dénonçant la dangerosité de la circulation à Paris, voitures, vélos, camions et piétons confondus, sans parler de ces encombrants que sont les trottinettes. Un jour, j’irai habiter en bord de mer et je pourrai rouler directement en sortant de chez moi.

Photo : l’arrivée sous l’arche de l’Ironman 70.3 des Sables d’Olonne.

Vichy #3

Il est peu avant quatre heures quand le réveil ne sonne pas parce que la veille de triathlon, je dors peu ou par intermittence, j’ai travaillé la veille, j’y retourne demain, pas de week-end mais c’est bientôt les vacances, je vais même pouvoir m’enregistrer aujourd’hui pour les vols. Le triathlon de Paris, c’est fête parce que Paris sans la circulation et avec un public, c’est fête. Je retrouve mon vélo couvert de la rosée du matin, je lui trouve un air romantique, il est entouré d’un milliers d’autres bolides qui ont pris la pluie hier, aujourd’hui la météo est au beau fixe. Pour se rendre au départ de la natation en amont du canal de l’Ourcq, j’emprunte pieds nus des quais que je connais par cœur, j’ai l’impression d’être dans ces rêves où l’on se retrouve en pyjama au bureau, c’est totalement décalé, les passant s’arrêtent avec leur chien pour regarder. La température de l’eau est à 22,5° donc plus chaude que l’air, on oublie souvent que l’eau du canal a une température, je n’imagine toujours pas les triathlètes des Jeux Olympiques de Paris nager dans la Seine en 2024, j’imagine que la température du fleuve interdira les combinaisons. C’est un véritable passage à l’acte que de sauter dans le canal, c’est formellement interdit d’ordinaire, je m’exécute et je suis prise immédiatement dans les filets d’une algue, un truc si énorme que sur la première partie du trajet en ligne droite sur 1500m, j’évite de trop regarder ce qu’il y a sous moi, non seulement c’est la baston au-dessus et je m’y attendais mais en plus, je remonte de ces choses en crawlant avec les bras, il y a de quoi accélérer jusqu’à l’arrivée. Peut-être que des personnes paieraient très cher pour être badigeonnées d’algues en état de putréfaction avancée pour profiter des effets antioxydants, je m’estime soudain privilégiée. Heureusement, le calvaire a une fin et je sors de cette macération en moins de 35 minutes, bien. Je cours récupérer mon vélo pour partir en peloton, les parisiens adorent restés très groupés, découvrir ma ville chérie sécurisée entièrement sur notre parcours, aucune voiture ni scooter, c’est un vrai miracle et une joie indescriptible de sillonner depuis Bastille vers le bois de Boulogne en passant par Trocadéro et les quais de Seine sans aucun bruit, aucune circulation. Je roule à une moyenne de 31,5km/h sur 40km, j’atteins 64,4km/h, cela ne m’était jamais arrivé. En posant mon vélo, je sais que je suis pas mal, j’ai appuyé sur les pédales pour relancer à la fin de chaque faux plat, de chaque virage, et il y en a eu beaucoup, un peu trop, j’ai tout donné. Je pars pour la course à pied, 10km sur un aller-retour de part et d’autre des quais avec une vue qui n’en finit pas sur ce parcours interminable, il n’y a aucune raison que je m’arrête comme à Orléans et d’ailleurs, les cinq premiers kilomètres sont franchis, le ravitaillement s’offre à nous. Après un rapide calcul, et en ayant posé le vélo après moins de 1h15mn, je me rends compte qu’il n’est pas impossible en l’état actuel des choses, je n’ai pas mal et j’en ai sous le pied, que je finisse enfin un premier triathlon distance olympique sous le seuil des trois heures, j’accélère. Je croise Laurie-Anne, Fabienne et Tom des Front Runners qui m’encouragent dans mon élan. Dans les 300m vers l’arrivée, je vois William qui me prend en photo, je suis hilare parce que le chronomètre au-dessus de l’arche annonce 2h55, je franchis la ligne sous les 3h, 2h55mn42s.

Photo : Marc Chagall, « Paris par la fenêtre », 1913.