Il faut plus d’une fois savoir crier victoire #148

vois
tu te croyais pétrifiée et te voilà 
fortifiée 
ta puissance est visible à la voile 
qui gonfle fière
son biceps et ton navire file 
tout droit vers les étoiles
ô reine de la seule île 
habitée par les silences et tout le contraire 
désormais plus rien ne brûle 
la pluie qui tombait 
demande à rester sagement nuage 
là-haut
admirer jusqu'à son apogée le trajet

Photo : Joan Miro, « Les Perséides », 1970.

Il faut plus d’une fois savoir briller pour soi #144

amarrée malgré elle aux tentacules du culte 
l’amante est reconnue par sa coiffure sculptée
pour faire parler d’elle rester muette aux avances 
du temps qui glisse jusqu’à la frange d’une jeunesse
affranchie de l’interdit elle en goûte les fruits
et alimente les attentions sans délivrer
d’aucune tentation 
raffiné le carré
coupe court aux rumeurs personne ne résiste
à l’espoir lorsqu’il bat jusqu’aux tempes dans le noir

Photo : Louise Brooks.

Il faut plus d’une fois éclater de joie #136

le jour éclate entre les paupières 
en ouvrant la voix aux graves 
dans un silence de joie 
dont les notes de pluie 
font sourdine dans ma tête 
et j’arrête mon choix 
sur celle qui vibre en point d’orgue 
pour prolonger le repos d’un premier soupir 
et accorder à l’attente 
l’attention du plaisir

Photo : Joan Miro, Aquarelle, 1938.

Il faut plus d’une fois pour être là vraiment #123

il est un pouvoir plus puissant que d’apparaître 
ou disparaître 
d’un simple claquement magique 
c’est celui de naître là même 
où d’un seul coup
une présence vient changer la vie du tout au doux   	
le vent s’affirme
et soigne la lumière cambrée
comme on caresse un ventre chaud
les mots s’écoulent
que le temps retenait dans la saison des pluies

Photo : Paul Klee, « La Don Giovanni bavarois », 1911.

Il faut plus d’une fois pour connaître un artiste #65

j’aime le langage feutré qui force l’indicible quand aucun mot n’avoue 
le désir d’y aller 
ce monde catalogué me surprendra toujours au moment de noter 
ce qui frôle les contours
sans croire en rien là-haut j’accueille tous les signes et je déguise en ange
celle qui dit sans parler
tes mains d’artiste s’expriment tandis que bougent tes lèvres je lis de la beauté 
aux commissures d’ici

Photo : Andy Warhol, “Leonardo da Vinci, The Annunciation, 1473”, 1984.

Il faut plus d’une fois pour y mettre la forme #60

je passe tous les jours par ce fameux carrefour d’où tu es partie seule 
à la fin de l’été
si vite que je n’ai même pas pu te rattraper au moment enfin où 
tout pouvait commencer
la forme que tu as mis cet ailleurs sans retour tu as créé le vide
la scène d’un silence
si je devais donner à ce vide forme humaine je le ferai hurler
d’une falaise à une autre
et l’écho te dirait il n’y a pas plus beau vertige dans la vie
que d’ouvrir grand ses bras

Photo : Carroll Lewis, « SurréAlice », Musée d’Art Moderne de Strasbourg.

Il faut plus d’une fois pour lire entre les lignes #55

j’aimais ton silence quand je finis de parler
qu’un ange passe 
il souligne ton prénom 
t’autorise
à ne pas prendre l’appel 
ni répondre du tout
j’aime ta démarche quand tu prends au sérieux 
la page blanche 
elle fait le vide autour de toi comme un îlot
dans l’océan de tes questions
j’entends tes vagues
j’aimerais lire ton sens de la marche
refaire le film sous-titrer le muet
et applaudir 
au moment du baiser

Photo : Pablo Picasso, « Femme assise lisant », 1899.

Il faut plus d’une fois pour un conte de fée #8

chaque paysage a sa carte postale intacte 
et la tienne disait ton retour 
dans les montagnes 
où la profondeur du lac éteint tous les cris 
j’aurais beau t’appeler tu ne m’entendras pas 
seuls les arbres donnent une discrète 
indication 
de la cime et retournent s’affoler dans le vent
le silence de la solitude m’a envahie 
en arrivant au sommet je l’ai accueilli
et t’ai envoyé ce bouquet 
sans autre mot

Photo : David Hockney, « Mont Fuji and flowers », 1972.

Son île à elle, ses ailes à lui #87

il faut plus d’une fois pour défaire toutes les autres
j’ai dénoué ce feu et je n’en veux pas d’autre
il y a dans nos nœuds l’idée d’éternité
à devoir cliver mer et île
force fragile
nous pourrions nous noyer
sans retrouver le fil
que tu as initié
à tes risques
mon péril
l’écriture saura-t-elle le meilleur retenir
l’écriture restera cette autre à définir 

Photo : Alexander Calder, « Homme tigre et homme rouge », 1965.

Son île à elle, ses ailes à lui #76

ce qui passe dans le ciel entre la nuit et le jour s’il y passait ses ailes 
pour me dire bonjour 
j’y verrais un personnage entre rouge et noir scandant ses pas le regard 
fier dans les étoiles
deux billes noires rusées amusées par le vent tout et ce qui pourrait 
la distraire d’elle-même
il faisait si sombre par certaines journées dites-moi comment sa page
éclairée de blanc
éveille l’envie de mille soleils pour que le bleu sans prévenir se mette à 
chanter en silence
racontez-moi comment le noir le soir venu fait scintiller ses pupilles 
l’ouvrage terminé

Photo : Joan Miro, « Personnage dans la nuit », 1974.