Il faut plus d’une fois agrandir la rivière #113

au début filet si menu 
j’ai à peine vu 
la vie jaillir de cette source discrète et claire 
elle m’a parlé de l’invisible 
je l’ai suivie 
comme on le fait quand on doit être interrogé 
mes mots ont ricoché sur l’eau 
des vaguelettes 
trop vives pour deviner dans mes aveux ce qui
a soudain créé la rivière
elle a gonflé
comme un cœur prêt à exploser que j’ai serré
dans mes bras devenus plus forts
ragaillardie
j’ai repris la marche vers le fleuve on dit que lui
ne se laisse pas intimider
moi je souris

Photo : Peter Doig, « Grande rivière », 2002.

Il faut plus d’une fois pour t’ouvrir le chemin #112

je rêve de juin brûlant l’élan enflamme la main 
je t’ouvre la porte d’un lendemain impatient
tu incendies les secondes de ton camaïeux 
d’idées furieuses c’est ton rire son rythme m’inspire 
quelle étonnante vitalité nous fait danser 
depuis que ton regard par un soir de hasard
a embrasé dans mon quartier tout ce silence 
qui te savait tout près et déjà fou de toi

Photo : David Hockney, “Early June tunnel”, 2006.

Il faut plus d’une fois inventer un chez nous #111

voici la toile t’offrant son large 
prends-le comme un décolleté
sans laisser sombrer ton regard
l’espace afflue dans un grand blanc 
qui ne dit pas sa profondeur 
là où tu iras seule chercher
le ras de marée qui tempête
à la surface de ta main
c’est une déferlante de fleurs
qui te surprend par ses couleurs
comme un chez nous réinventé
aussi vrai que l’est une saison

Photo : Gustav Klimt, « Jardin italien”, 1913.

Il faut plus d’une fois savourer les beaux mois #110

l’oiseau de printemps piaille l’éveil tout excité
sous la lumière un peuplier se croit palmier
il ploie d’abord puis se dresse dans un doux délire
quelque chose est en train de chanter dans le vent 
c’est le bonheur que l’on distribue couleur vert
il est temps d’accueillir tout ce temps retrouvé
la chaleur de nos mains sur le tambour du cœur
le sourire infini d’horizons amoureux

Photo : Paul Signac, « Arbres en fleurs », 1896.

Il faut plus d’une fois pour lever le rideau #108

le fil de l’indicible a tissé dans la nuit des liens 
à même le rêve un chef d’œuvre au réveil 
les images me traversent 
sans ouvrir la fenêtre 
un voyage s’organise depuis l’ultime pensée
au moment de dormir mon sourire répondait 
au tien et ta présence veillait sur mon sommeil 
les reliefs oniriques 
impriment sur l’oreiller 
la force du désir comme pour me faire parler

Photo : Pablo Picasso, « Atelier aux palmiers », 1959.

Il faut plus d’une fois vivre en simultané #107

la vie est cette patineuse 
je la suis de près enfiévrée 
elle s’élance et s’entête 
son langage est céleste
je marche en parlant aux nuages
ils la parfument sur son passage
j’ai beau serrer le poing
elle caresse ma main
j’en appelle aux airs romantiques
d’un réverbère rose anonyme
il n’a pas vu la vie
mais simule sa lumière
le rideau qui se lève alors 
me révèle en rêve ce chef d’œuvre
tu existes en vrai
ton sourire m’apparaît

Photo : Enrico Prampolini, « Autoportrait simultané », 1923.

Il faut plus d’une fois commencer par les mains #106

quand je pose les mains là pour danser à ton rythme l’univers tout entier s’accroche autour de moi 
et le miel qui envoute en secret notre instant coule au fond de l’iris se récolte à tes lèvres
se répand en douceur jusqu’au bout de mes doigts inspire chacun des gestes pour construire au présent  

Photo : Egon Schiele, « Autoportrait aux mains sur la poitrine », 1910.

Il faut plus d’une fois habiter le bonheur #105

trois nuages plus loin nous voilà rapprochées   
sans vitesse moins pressées 
qu’une orange au soleil
le temps nous a saisies en pleine composition 
d’un souhait une exception
la parenthèse ouverte
dans la maison sans mur ni porte ou fenêtre
la terre pour y danser 
pour te rejoindre un ciel
dont la clé est cachée derrière nos paupières
en rêve je fais le vœu
deviné dans tes yeux

Photo : Aki Kuroda, “Happy Boy”, 2019.

Il faut plus d’une fois savoir partir à point #103

les minutes sont des leurres 
je t’attends et je meurs
et les heures des marées 
je saute à cloche-pied
les années de longs cercles 
la mouette s’est envolée
la direction du vent
prend mon fier cerf-volant
le temps de dire j’arrive
d’accélérer le rythme
du battement des cils
et me voici partie

Photo : Norman Rockwell, « Autoportrait », 1960.